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Mme de La Pouplinière, toujours d’après Rousseau, critiqua aigrement tous les morceaux composés par Jean-Jacques, l’accusant d’avoir fait « une musique d’enterrement » et obtenant de Richelieu, qui eût été enclin naturellement à plus de bienveillance, que l’on chargeât Rameau d’effectuer à son tour de nouveaux changemens dans la pièce. Sur quoi désolation, déception amère de Rousseau, qui en tombe malade de chagrin et s’alite pour plusieurs semaines.

Néanmoins, le 22 décembre, l’opéra fut représenté, avec un médiocre succès, et tint l’affiche quelques soirées. Mais Mme de La Pouplinière, par une nouvelle noirceur, suggérée par Rameau, se serait arrangée, assurent les Confessions, pour que, sur le livret, on omît le nom de Jean-Jacques. Richelieu, parti pour la guerre, ne put parer le coup, si bien que le pauvre Rousseau en fut pour sa peine inutile et n’eut ni honneur ni profit. Relevons ici tout d’abord une légère erreur de Rousseau. Son nom, sans doute, ne figure pas sur la partition imprimée des Fêtes de Ramire ; mais on n’y lit pas davantage ceux de Rameau et de Voltaire ; seul est inscrit le nom du sieur Laval, qui était l’auteur du ballet. De plus, la lettre de Voltaire autorisant Jean-Jacques à corriger la pièce porte la date du 15 décembre, huit jours avant la représentation. Il est peu vraisemblable que, dans ce court espace de temps, les changemens et les additions opérés par Jean-Jacques aient pu avoir une bien grande importance. Il faut donc, dans cet épisode, ne voir qu’un nouveau témoignage du caractère ombrageux de Rousseau, de sa manie de tout grossir et de sa tendance maladive à découvrir partout l’œuvre de la persécution.

Que Mme de La Pouplinière ait montré cependant peu de sympathie à Jean-Jacques, cela ne parait pas douteux. Il en propose l’explication suivante : « Je ne pouvais rien comprendre à l’aversion de cette femme, à qui je m’étais efforcé de plaire et à qui je faisais assez régulièrement ma cour. Gauffecourt m’en expliqua les causes : « D’abord, me dit-il, son amitié pour Rameau, dont elle est la prône.se en titre et qui ne veut souffrir aucun concurrent, et de plus un péché originel qui vous damne auprès d’elle et qu’elle ne vous pardonnera jamais, c’est d’être Genevois. » Cette haine collective était fondée, ajoute Rousseau, sur le souvenir des efforts de l’abbé