Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/835

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

uns disent qu’il a été empoisonné, les autres qu’il est mort de chagrin. Il y a une grande prophétie qui court la ville, qui est qu’il mourra quatorze cardinaux avant l’élection d’un pape, et que ladite élection ne se fera et ne se déclarera que le 22 octobre. »

Pourtant, dans les premiers jours de juillet, on eut une lueur d’espoir. Les adversaires du camerlingue se rallièrent sur un nouveau nom, celui d’Aldovrandi, lequel eut jusqu’à trente-trois voix, mais sans pouvoir jamais décrocher la trente-quatrième, faute de laquelle il n’y avait point d’élection. Ce chiffre se maintint pendant encore environ cinq semaines. Je laisse ici la parole à d’Assay : « 16 août 1740. — Hier on proposa Lambertini, qui est un drôle de corps. Je ne le connais point de figure, parce qu’il n’est venu à Rome que pour entrer dans le conclave. Il dit avant le scrutin à MM. les cardinaux : « Messieurs les cardinaux, je sais très bien que vous n’avez pas l’intention de me faire pape, que vous voulez simplement me ballotter. J’y consens ; mais, si vous prétendez faire comme avec le cardinal Aldovrandi, dénigrer toute ma vie passée et l’assaillir de toutes sortes de calomnies, vous pouvez être certains que je ferai l’histoire des manèges, des intrigues et de toutes les fourberies dont j’ai été témoin. Je la ferai imprimer et je la répandrai dans le monde entier. »

« 20 août 1740. — Chère sœur, nous avons à la fin un Souverain Pontife. Les uns l’ont reçu de la main du Saint-Esprit, les autres prétendent que c’est le diable qui s’en est mêlé. Les plus éclairés disent que c’est notre cardinal. Ce qu’il y a de sûr, c’est que c’était son plus grand ami, et son ami depuis vingt ans. Or, voici la façon dont nous l’avons eu. Mardi matin, les cardinaux étaient encore obstinés pour le cardinal Aldovrandi, et au scrutin il avait eu, comme à l’ordi-nuire, ses trente-deux voix. Le soir, il se fit nue assemblée de quelques cardinaux, même du parti contraire, chez le cardinal de Rohan. Après s’être beaucoup échauffés sur le compte d’Aldovrandi, quelqu’un dit : « Mais pourquoi ne finissons-nous pas tous ces différends sur Lambertini ? » (archevêque de Bologne, et l’un des quarante nobles de cette ville. C’est lui dont je vous ai parlé ci-devant). « C’est un sujet très digne et très propre. On ne peut pas mieux remplacer Aldovrandi. » Aussitôt, chacun s’accorde sur ce sujet. On va consulter Corsini, lequel dit qu’il n’avait nulle difficulté d’y consentir. Et