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maintenant dans ce couloir obscur, aux demi-ténèbres douteuses, sous l’enchevêtrement des rondins de thuya qui soutiennent les étages en surplomb : c’est la rue Médée, ou, plus sinistre encore, la rue du Diable, — l’Afrique des sorcières et des djinns, des vendeuses de philtres, des incantations et des maléfices.


Le matin, à l’aube, cette Kasbah voilée et taciturne a des ébats de vie joyeuse, des carrefours et des placettes, où les marchands de fleurs et de légumes étalent les trésors éclatans de leurs éventaires. Et, comme des torrens qui dévalent entre de sombres roches, elle a deux ou trois longues rues toutes vibrantes de lumière, toutes fourmillantes de haillons multicolores, toutes pleines de cris et d’odeurs. C’est le moment où les marchands de poisson montent ses escaliers, en tapant sur les plateaux de leurs balances et en balançant leurs corbeilles dégouttantes d’eau de mer.

Mais la vraie Kasbah n’est pas là, dans ce tumulte et ces couleurs ardentes du réveil. La vraie ne se livre point ainsi aux regards du passant. Elle est retirée, murée et comme ensevelie derrière une triple barrière d’ombre, de silence et de refus. Ses maisons, presque sans ouvertures, ne reçoivent la lumière que du dedans. Ses portes basses, percées d’un guichet où s’encadre parfois une face méfiante, repoussent le visiteur par tous les clous et par toutes les pointes de leurs ferrures. Elle est comme en état de défense permanente. Le soir surtout, après le couvre-feu, cette solitude et cette obscurité prennent quelque chose de menaçant. On monte dans le noir et dans le silence. On glisse sur les marches grasses et dans les détritus des ruisseaux. Le labyrinthe voûté n’en finit pas. Anxieusement, on cherche, à chaque détour, la lueur amie d’un bec de gaz… Soudain, un frôlement presque imperceptible. On se retourne. Un fantôme drapé de blanc vous suit. Il vous suit longtemps. Ses pas ne font point de bruit sur les dalles. Et puis, tout à coup, il disparait derrière une de ces portes bardées de clous, qui se referme sur lui, sans faire plus de bruit que ses pieds nus…