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cette lettre réussit à faire passer en nous l’émotion respectueuse et reconnaissante qu’il a éprouvée lui-même à la vue de ces braves gens qui, si simplement, mais si vaillamment, font tout leur austère et dur devoir ? La France des tranchées, qui est la grande majorité de la France, est celle que le monde entier ignorait le plus, et qui a provoqué, un peu partout, et même chez nos ennemis, le plus d’étonnement et d’admiration. La victoire de la Marne pouvait, à la rigueur, s’expliquer par un sursaut d’héroïsme, par une de ces soudaines reprises, dont la France est coutumière ; elle pouvait être un heureux hasard, le résultat imprévu d’un concours unique de circonstances. Mais cette victoire quotidienne qui consiste, pendant de longs mois, à souffrir, à mourir quelquefois obscurément, dans des conditions de vie presque repoussantes, il fallait, pour la remporter, un fonds solide et héréditaire de robustes et humbles vertus dont on nous croyait totalement dépourvus. Nul doute que l’Allemagne, en nous imposant la guerre des tranchées, n’.ail spéculé sur les défauts qu’elle nous attribuait, et n’ait espéré user plus facilement notre résistance. Elle comptait sans ce que j’aime à appeler la troisième France, cette France modeste, patiente et laborieuse qui est celle que l’on connaît le moins, et qui est proprement la France éternelle. Cette France-là s’est trouvée tout naturellement, et comme de plain-pied, à la hauteur de sa tâche, et l’Allemagne, étonnée, s’est usée elle-même, sans user son adversaire, mais au contraire en lui laissant le temps de réparer et de compléter son armure et de se rendre plus formidable. On l’a vu en Champagne, on vient de le voir à Verdun et sur la Somme ; on le verra sans doute mieux encore bientôt.

« Ces Allemands sont inélégans en tout, écrit un de nos soldats, — un brillant officier de cavalerie, selon toute apparence ; — ils nous ont rendu ennuyeuse la guerre elle-même, qu’en France nos ancêtres avaient l’habitude de faire si gaiement et si proprement. » Guerre inélégante, oui, sans doute, et même « guerre grotesque, » mais qui, comme toutes les guerres, est douloureusement transfigurée par la mort. La mort est la perpétuelle compagne de ceux qui combattent, et leurs lettres, comme bien l’on pense, sont pleines de visions funèbres. S’il y a quelque Villon, quelque Shakspeare ou quelque Hugo parmi eux, il pourra faire une ample provision d’images émouvantes,