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Chers parrain et marraine, je vous écris à vous, pour ne pas tuer maman, qu’un pareil coup surprendrait trop… J’ai deux blessures hideuses, et je n’en ai pas pour bien longtemps. Les majors ne me le cachent même pas. Prévenez donc mes parens le mieux que vous pourrez : qu’ils ne cherchent pas à venir à Suippes, ils n’en auraient sûrement pas le temps. Adieu, cher parrain, chère marraine, chers parens, chers cousins, vous tous que j’aimais. Vive la France !


Ce stoïcisme, cette résignation, cette bravoure, ce don spontané de soi ne sont pas le privilège des seuls combattans ; ces vertus se pratiquent aussi à l’arrière. La veuve d’un lieutenant de réserve tué au Four-de-Paris répond en ces termes à des condoléances : « Malgré toute ma souffrance, j’essaie de ne pas m’appesantir sur ma grande douleur, car ce serait, il me semble, vis-à-vis de cette mort de héros, une faiblesse de ma part. J’ai fait de cet être si cher le sacrifice complet à la France, et de ce sacrifice, je ne dois pas mesurer l’étendue. Ce qui est donné est donné : un regard en arrière pourrait être une défaillance. » — Une mère, en apprenant la mort de son fils, écrit ces lignes, dignes du grand Corneille : « Dans ce malheur effroyable, une grande consolation me reste. Pendant dix-sept ans, j’ai disputé mon fils à toute sorte de maladies. J’avais pu l’arracher à la mort à force de soins constans. Je suis profondément fière d’avoir réussi à le conserver pour lui permettre de mourir pour la Patrie. Là est ma grande consolation. » — Une pauvre femme, dont la mère et les deux enfans ont été tués par les Allemands, et dont la maison a été pillée, écrit à son mari mobilisé ; elle regrette de ne pouvoir faire le coup de feu contre les envahisseurs : « Tu peux faire part, dit-elle, de cette lettre à tes camarades, pour que tous les soldats français puissent nous venger, car la haine sera toujours plus grande pour ces Barbares. Ne te fais pas de bile pour moi, je niai plus d’enfans. » — Et voici ce qu’une vieille mère, dont huit enfans sont morts à l’ennemi, dicte à ses filles pour l’un des survivans :


J’apprends la nouvelle que Charles et Lucien sont morts dans la journée du 28 août. Eugène est blessé grièvement. Quant à Louis et Jean, ils sont morts aussi. Rose a disparu. Maman pleure. Elle dit que tu sois fort, et que tu ailles les venger. J’espère que tes chefs ne te refuseront pas cela. Jean avait eu la Légion d’honneur. Succède-lui. Ils nous ont tout pris. Sur onze qui faisaient la guerre, huit sont morts. Mon cher frère, fais ton devoir. On ne te demande que cela. Dieu t’a donné la vie ; il a le droit de te la reprendre, c’est maman qui le dit… Tes sœurs.