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Ces sœurs, ces épouses et ces mères qui parlent ainsi, et que la douleur, loin d’accabler, exalte, sont les dignes compagnes de ceux qui se battent sur le front. Et voilà ce peuple français « dégénéré » que l’Empereur allemand voulait abattre, en le terrorisant !

Dans cette résistance héroïque aux nouveaux Barbares, toutes les classes, tous les âges sont si bien mêlés et confondus qu’il est difficile de distinguer un groupe particulier de Français et de le désigner plus spécialement à l’attention admirative et reconnaissante des vrais amis de notre pays. Il semble bien pourtant que les jeunes générations aient répondu avec une ardeur singulière à l’appel de la pairie et se soient sacrifiées avec une allégresse, une générosité qu’on ne saurait trop glorifier. Ici, ce sont des enfans, de simples boys-scouts qui, à l’insu de leurs parens le plus souvent, veulent servir et partent au front. « Je suis entraîné depuis longtemps, — écrit l’un, Lucien Roux, — à toutes les fatigues et au froid, je serai bien couvert, et là-bas, derrière nos canons, je ne souffrirai pas trop des intempéries. Je reviendrai bientôt vous embrasser tous, et je serai fier d’avoir fait la campagne, d’avoir rempli mon rôle d’éclaireur, d’avoir défendu ma patrie, d’avoir délivré des griffes allemandes mon petit Pierrot chéri. » — Un autre, Pierre Mercier, qui n’a pas quatorze ans, écrit à ses parens : « Chers parens et chères sœurs, ne pleurez pas mon départ, car c’est pour la Patrie que je m’en vais ; au contraire, vous n’avez qu’à être fiers d’avoir un fils et un frère sous les drapeaux… Et toi, petite Suzanne, va toujours à l’école pour apprendre la géographie et l’histoire, bientôt elles seront changées. » — Un autre enfin, Lucien Mazin, écrit à sa famille désolée : « Mes chers parens, vous m’excuserez de ne pas vous avoir écrit plus tôt. Je n’ai pas eu beaucoup de temps. J’ai été les premiers jours dans les tranchées. J’ai fait le coup de feu comme les autres. Un jour, j’ai surpris deux Boches derrière un arbre, en train de manipuler des bombes. Je les ai tirés à bout portant. J’ai été blessé par un éclat d’obus. Ce n’était rien, et je suis resté ici. » Heureux parens d’avoir de tels fils !

Un peu plus âgés, ils n’ont pas moins de courage et d’élan, mais, comme il est naturel, ils pensent davantage. Voici un engagé volontaire qui, en partant au front, veut payer sa dette au lieutenant-colonel Rousset et lui écrit pour lui dire quelle