Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 37.djvu/929

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

capables des plus grands efforts et des plus grandes réussites. Notre génération vaincra, parce qu’elle sait que ce bonheur qu’elle conquerra sera pour elle. Qu’elle sera belle, notre vie de demain ! et nous saurons d’autant mieux eu profiter sagement, que nous aurons eu plus de difficulté à vaincre. Ne nous plains pas, ne nous admire pas ; envie-nous !


Ah ! oui, envions-les.

Ces héros ne sont point moroses ; ils ont l’héroïsme gai ; ils « ont le sourire, » comme ils disent, et même le rire. Les plus belles heures de leur vie sont celles où ils risquent leur existence pour jouer quelques bons tours aux « Boches : » tel celui qui, « pour faire comme papa, » emporte sur son dos une sentinelle allemande qu’il a étourdie d’un coup de marteau et qui s’amuse à entendre les balles ennemies s’acharner sur son bouclier d’un nouveau genre. Ils plaisantent sur leurs dangers et sur leurs souffrances. « On voit la mort à chaque minute, écrit un téléphoniste d’artillerie, on remonte les blessés ; à chaque instant, un pas de plus, un pas de moins peut vous perdre, et tout autour de soi, on cause, on rit, on ne pense même pas aux projectiles… Je suis en bonne santé, couvert de boue, les pieds trempés et heureux comme deux rois. » — « Mon cher ami, écrit un autre, dans ta lettre du 5 novembre, tu me demandais de te faire admirer la couleur de mon écriture. Je l’aurais fait avec un bien grand plaisir si, dans la tranchée, au moment précis où je terminais la lecture de tes ligues, un obus malencontreux n’était venu m’enlever le bras droit ; ta lettre avait suivi ; j’ai dû la ramasser de la main gauche. » — « Chers parens, écrit un matelot, lisez cette lettre en riant, car moi, j’ai presque le fou rire maintenant. Que devez-vous penser en ce moment, car vous avez dû apprendre par les journaux la triste nouvelle ? Le 25 octobre au matin, vers sept heures, sera la date la plus mémorable de ma vie ; je vous assure que je l’ai échappé belle. » Et il conte comment le bateau sur lequel il était embarqué a été coulé par l’Emden. — « Ne t’inquiète pas, écrit un autre troupier à sa mère, au lieu de maigrir, j’engraisse, et je commence à avoir une barbe respectable. Je suis plus gai que jamais, et je casse la tête à toute mon escouade. Je chante du matin jusqu’au soir, et les vieux m’aiment bien, car je sais toucher la corde sensible, soit en les remontant, soit en me riant de la mitraille. Les nuits blanches ne se comptent plus, mais l’on est toujours solide au poste. »