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troupe de l’Hôtel de Bourgogne et provoqua bientôt la jonction des deux troupes royales.

Dancourt, par suite de son mariage, devait renoncer au barreau. Le monde nouveau dans lequel il vivait, l’influence de sa femme, son goût pour la vie libre, et même quelque peu débraillée, la conscience aussi qu’il avait de certains talens naturels propres à briller sur la scène, tout cela le poussait à franchir le fossé, à se tourner vers le théâtre. Il semble néanmoins qu’il hésita durant quelques années, qu’il employa sans doute à se former dans son nouveau métier. Il s’essaya d’abord dans les troupes de province[1]. On lit dans les notes de La Grange qu’il fut admis au Théâtre-Français « à Pâques de l’an 1685[2], » touchant « une demi-part » en qualité « d’acteur nouveau. » Sa femme que, selon la coutume du temps, on appelait « mademoiselle Dancourt, » avait joué à l’essai quatre ou cinq mois plus tôt[3], et elle fut reçue dans la troupe à la même date que son mari. Il faut noter comme un assez curieux symptôme que, plus de deux années après, dans un acte officiel du mois d’octobre 1687, Dancourt se réclamait encore du titre d’ « avocat au Parlement de Paris, » d’où l’on peut inférer que ses résolutions n’étaient pas sans appel.

Comme acteur, en effet, Dancourt se voyait discuté et son succès n’était pas unanime. Dans le tragique, il échoua presque complètement ; son jeu semblait froid, son débit monotone. Il se rattrapait, au contraire, dans les rôles qu’on appelait de « comique à manteau, » dans les emplois de raisonneur, comme le Philinte du Misanthrope. Ses détracteurs disaient de lui qu’il jouait noblement la comédie et bourgeoisement la tragédie Jamais, dans tous les cas, sur les planches d’un théâtre, il, ne valut sa femme, dont la belle taille, le ravissant visage, la voix « suave et sonore, » la finesse qu’elle mettait à détailler un rôle, à exprimer les nuances d’un personnage, faisaient l’enchantement du public. Dancourt se rattrapait par d’autres qualités, non moins précieuses dans la profession théâtrale. Sa facilité de parole et sa naturelle élégance lui firent donner, à la mort de La Grange, l’emploi d’« orateur de la troupe, » sorte de régisseur

  1. Archives du Théâtre-Français.
  2. Il fut reçu dans la troupe le 24 février et débuta le 11 mai suivant.
  3. Exactement le 8 novembre 1684, dans une représentation donnée à Fontainebleau (Archives du Théâtre-Français).