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dire ce que j’éprouvais au moment où les fortes moustaches du général frôlaient mes joues, je ne saurais : à ce moment-là, on ne vit plus. Avouez qu’il y a quelque chose d’impressionnant pour un jeune homme de vingt-trois ans de recevoir ainsi l’étreinte de ce grand vieillard, pour un sergent d’être décoré par le généralissime. Je crois bien que la joie et l’orgueil vont me tourner la tête. Il est vrai que je n’ai qu’à regarder autour de moi pour me convaincre que je ne suis pas grand’chose de plus que les autres, et que ce que j’ai reçu, d’autres auraient pu et même dû le recevoir.


Ne l’en croyons pas tout à fait sur parole. Les prêtres qui reçoivent la médaille militaire ou sont cités à l’ordre du jour ont mérité leur récompense. Tel celui-ci qui s’était offert pour une patrouille fort périlleuse :


C’était deux heures de l’après-midi. On a demandé des hommes de bonne volonté ; personne n’osait s’aventurer. Nous étions dans une plaine absolument découverte, avec une grande route au milieu. Deux camarades m’ont suivi et nous avons rampé comme des serpens jusqu’à cinquante mètres des tranchées ennemies. Dès qu’ils nous ont aperçus, Dieu sait s’ils nous ont mitraillés à coups de fusil ; mais ils sont si maladroits qu’ils nous ont manqués, et nous sommes rentrés tout contens d’avoir pu rendre service.


Tel encore cet autre qui, lors de la prise du fond de Buval, le lieutenant qui commandait en premier étant touché, a dû « mener cent cinquante hommes à l’assaut d’une tranchée ennemie jusque-là imprenable. »


C’est par surprise, sans aucune préparation d’artillerie, que nous devions nous en emparer. A une heure du matin, nous nous glissons jusqu’aux fils de fer boches, et au cri de : En avant ! nous nous précipitons sur l’ennemi. Alors, j’ai vu des choses horribles. Armés de grands couteaux, nous tuons ce qui se présente ; j’ai ma capote criblée de trous, une véritable passoire. Dieu me garde, et c’est presque avec joie que je tue l’officier boche dont je garde maintenant l’épée. La tranchée était conquise, j’avais perdu quatre-vingt-dix hommes et mérité la croix de guerre.


Tel enfin, ce Père de Gironde dont M. Georges Goyau a parlé ici même, et qui a laissé à tous ceux qui l’ont connu le souvenir d’un soldat magnifique et d’un prêtre incomparable.

A la guerre, il n’est point nécessaire de se battre pour être au danger, et les prêtres brancardiers, infirmiers ou aumôniers sont aussi exposés que les prêtres soldats ou officiers. Leur dévouement, en tout cas, n’est pas moindre, et pareille leur influence morale. Au moment du bombardement de Dunkerque : « Tandis que plusieurs de nos infirmiers se réfugiaient