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a, en lui une droiture de sentimens, un bon sens, une honnêteté qui en font, en maints endroits, l’interprète de la morale universelle et le porte-parole de Molière lui-même. Entendons-nous : il n’est pas et il ne pouvait pas être le sage de la pièce. Il n’est pas l’Ariste abstrait et impersonnel. Il a ses défauts, qui sont défauts de valet, étant peureux, bavard et gourmand. Et tant mieux, puisque cela fait de lui un être vivant au lieu d’un raisonneur de comédie. C’est ce que les ennemis de Molière n’ont pas vu ou qu’ils n’ont pas voulu voir. Ils dénonçaient l’horrible impiété d’avoir mêlé toutes sortes de bouffonneries à l’expression des vérités les plus sacrées. Or le rôle, tenu dans la note grave, eût été celui d’un insupportable prêcheur. Les lazzi de Sganarelle nous ramènent au ton de la comédie, et ils n’enlèvent rien de sa force et de son éloquence à l’indignation du brave homme.

Du reste la colère gronde à travers toute la pièce, et il n’en est pas, le Tartuffe excepté, où Molière ait transporté plus vive et plus crue la polémique contre ses ennemis de toute robe. Laissons de côté cette première attaque contre les médecins, par laquelle s’inaugure une longue et impitoyable campagne. Mais Don Juan n’est qu’un épisode de la guerre du Tartuffe. De là vient que la satire de l’hypocrisie y occupe tant de place, et y jaillisse avec tant de violence, avec tant de soudaineté, sinon d’imprévu. Lorsque Don Juan, au cinquième acte, flétrit l’hypocrisie comme un vice à la mode, énumère les merveilleux avantages de la profession, et dénonce le « parti, » ce n’est plus Don Juan qui parle, c’est Molière. Il y a plus : le dessin même de la figure principale en a été modifié. Lorsque Don Juan se fait dévot les commentateurs s’évertuent à prouver que l’unité du caractère n’est par-là nullement compromise, et que cette dernière fourberie l’achève de peindre. C’est pousser un peu loin le respect dû aux créations du génie. Certes il y a moyen d’expliquer cette dernière incarnation de Don Juan. Ne croyant à rien, sauf à l’arithmétique, n’étant arrêté par aucun scrupule, on peut admettre qu’à l’occasion le libertin prenne le masque de l’hypocrite, s’il y trouve quelque avantage. Toutefois la dévotion servait surtout alors à se pousser dans le monde, et on ne voit point que Don Juan ait aucune ambition, hors celle de vivre à sa fantaisie. On peut dire encore que, voulant accumuler sur le, seul Don Juan tous les traits qui peuvent le rendre odieux, Molière s’est avisé de lui prêter cette suprême noirceur ; et enfin que les pires contradictions sont dans la nature humaine… Il n’en reste pas moins que dans cette dernière partie de