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son étude Molière s’est montré moins soucieux de la logique du caractère que des besoins de sa polémique.

Venons-en donc à ce caractère, qui est, quand même, admirable de vérité et de relief, de justesse et de pénétration, d’ampleur et de complexité. Dans Don Juan, il y a d’abord le donjuanisme, et il est aisé de voir que tout ce qu’on en a dit après Molière, on l’a redit d’après lui, ou, pour parler plus juste, que tout ce qu’on a ajouté n’a été que pour brouiller et fausser ce que Molière avait si nettement vu. C’est une merveille que la profession de foi amoureuse de Don Juan au premier acte. Quelle ardeur de jeunesse on y sent frémir, et quelle fièvre de jouissance ! Avec quelle conviction il célèbre l’impérieux attrait de la beauté et l’impression qu’elle fait sur un cœur inflammable ! Avec quelle sûreté d’analyse il décrit le charme des inclinations naissantes et la joie de la conquête ! D’un bout à l’autre de cette tirade enflammée, quel élan, quel souffle, quel crescendo pour se terminer par l’extraordinaire déclaration de guerre amoureuse à l’univers entier : « Je me sens un cœur à aimer toute la terre ; et, comme Alexandre, je souhaiterais, qu’il y eût d’autres mondes pour y pouvoir étendre mes conquêtes amoureuses… » Et maintenant, comme fait ce personnage de Dumas fils, soumettons toute cette éloquence à une analyse médico-physiologico-psychologique, qu’y trouverons nous ? L’ardeur d’un tempérament sensuel, la curiosité, l’amour-propre, et d’autres élémens encore et tous ceux qu’on voudra, sauf un grain d’amour, attendu que l’amour implique le don de soi et que le fond de Don Juan, c’est un prodigieux égoïsme. Don Juan peut dire que « tout le plaisir de l’amour est dans le changement, » car il ne demande à l’amour que le plaisir. La poursuite de la sensation, c’est tout le donjuanisme. L’éloquence, la poésie, la musique pourront jeter leur manteau brodé sur cette réalité : elles en voileront, elles n’en supprimeront pas la laideur. Ç’a été l’aberration du romantisme, aboutissant au morceau fameux de Musset, de faire de don Juan un chercheur d’idéal. Autant prendre la nuit pour le jour et le noir pour du blanc. Molière, qui pourtant nous présente Don Juan dans son meilleur temps, celui de sa jeunesse, et sous ses plus séduisans dehors, n’a pas hésité à nous le donner pour méprisable et odieux.

Ici encore, il a tout dit. Car, il se peut que le changement renouvelle le plaisir ; on sait de reste que l’abus du plaisir émousse la sensation. Bientôt il faudra trouver un excitant pour la raviver et pimenter le plaisir. Tournant dangereux, voie scabreuse pour celui