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en séduction. Il eut aussi parfois maille à partir avec des créanciers dont il dénonçait l’insolence ; et il faillit assommer un huissier, qui prétendait saisir ses meubles[1]. Par ailleurs, les gens de salon, tout en le recherchant, ne manquaient pas l’occasion de marquer la distance. Dans un brillant souper, comme Dancourt, un peu échauffé, plaisantait le comte de Livry, maître d’hôtel du Roi : « Dancourt, lui dit celui-ci d’un air riant, tu as été charmant jusqu’à présent ; mais je t’avertis que si d’ici à la fin du souper, tu as plus d’esprit que moi, je te donnerai des coups de bâton[2]. » Dancourt n’était pas lâche ; il en avait donné des preuves. Le souci de sa profession lit taire cependant son orgueil ; il fallut dévorer l’outrage.

Il n’est pas surprenant que, comme Collé l’assure, il ait semblé parfois dégoûté, écœuré du métier qu’il avait choisi, qu’il se soit « cent fois repenti d’avoir embrassé celui-là. » Mais ce sont choses qu’on se dit à soi-même et qu’on supporte mal sur les lèvres d’autrui. Le Père La Rue, son ancien professeur, l’apprit un jour à ses dépens. Comme ils devisaient ensemble et que Dancourt lui rappelait ce souvenir, le jésuite l’attaqua vivement sur son état de comédien : avec l’esprit et le talent que Dieu lui avait départis, que n’en avait-il pris un autre ? Dancourt releva le propos avec une rare irrévérence : « Un autre état ? Mais c’est presque le vôtre. Toute la différence que j’y trouve, c’est que vous êtes comédien du Pape et que je suis comédien du Roi[3]. »

Qu’on n’induise pas de ce propos que l’ancien élève des jésuites eût l’âme d’un mécréant. Il garda toujours, au contraire, fût-ce au milieu de ses plus grands désordres, une foi sincère et des habitudes religieuses. Un de ses chagrins était l’excommunication qui frappait les gens de théâtre et les suivait jusqu’à leur lit de mort. Il s’efforça vainement d’obtenir sur ce point quelques adoucissemens, en s’adressant à M. de Harlay, le premier président du Parlement de Paris. « Dancourt, répondit ce dernier, nous avons des oreilles pour vous entendre, des mains pour recevoir les aumônes que vous faites aux pauvres, mais nous n’avons pas de langue pour vous répondre. »

  1. Les Comédiens du Roi, par Campardon. Mémoires pour servir à l’histoire des hommes illustres, par le Père Niceron.
  2. Journal historique de Collé.
  3. Ibidem.