Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/210

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’est promis de faire de Tito un latiniste. Mais l’éducatrice de Tito, ce fut sa ville natale, Vicence belle et charmante avec les deux rivières qui lui sont « une ceinture d’eaux vives et fraîches, » avec ses vergers et ses vignes, avec les dômes de ses églises, avec sa basilique palladienne et avec toute la parure de pierre dont l’a ornée le génie de son divin Palladio, avec la dignité gracieuse que la nature et l’art ensemble ont accomplie en elle comme un chef-d’œuvre. Et, le propos de M. de Régnier, ce fut de montrer, dans son Tito, Vicence.

Il s’est plu, maintes fois, à de telles analogies d’un personnage qu’il invente et d’une cité qu’il a vue : et Venise, et Vérone, et Paris ont, parmi ses romans, je n’ose dire leurs symboles, au moins leurs vivantes images. Les cités, et aussi les époques. Du reste, ce n’est pas qu’il prétende illustrer là une théorie du genre de celle que Taine a formulée et qui, d’un être, fait le produit d’un temps et d’un milieu : non pas cette théorie, non pas une autre. Aucune théorie, certes. Et, afin qu’on ne soit pas tenté d’en chercher une où il n’a cherché qu’une image à dessein combinée, il a soin de noter, autour de l’image, les élémens de vérité qu’il n’utilise pas. Ainsi, vers la fin de Romaine Mirmault, il y a Viterbe, ville farouche, plus vieille que la Renaissance et le Moyen Age ; ville aux maisons tassées et refrognées, et ville où le bruit des fontaines dans les vasques n’interrompt pas le silence ; ville de passions tragiques et muettes. Et le prince Alvanzi, lequel, ayant tué le fat que la beauté de la princesse Alvanzi rendait éperdu d’amour, demeure à consoler en son palais pareil à une citadelle sa femme déraisonnable, voilà Viterbe. Mais, dans les rues de Viterbe, Romaine Mirmault ne rencontre que bonnes gens voués à l’ennui provincial et qui usent paisiblement leur vie quotidienne. A Vicence, tous les garçons ne sont pas de la même sorte que Tito Bassi. Quantité de polissons s’y démènent comme où l’on voudra, inattentifs à la poignante leçon de Vicence. Tito avait le privilège d’une sensibilité qui le prêtait à la persuasion du paysage et les monumens ; et il avait sa méditation puérile devant le palais Vallarciero, magnifique et mystérieux.

L’héroïsme qui est épars dans l’air de Vicence, Tito l’a recueilli. Et, dans Vicence plus riche de souvenirs que de réalité, dans Vicence qui, dès le moment où cet enfant y grandissait, n’était plus au bel état de sa prospérité, laissait tomber en désuétude sa splendeur ancienne et courte, en pauvreté son faste, les velléités que Tito attrapera ne seront que d’héroïsme vain, manqué.

Le palais Vallarciero dresse, en face de la boutique où Ottavio