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séduisant prestige de la scène, ce qu’il a rêvé d’être. Vicence l’attend, Vicence l’écoute… Et Vicence éclate de rire ! Ce tragédien qui fait rire, le seigneur Alvise Alvenigo le maudit, l’appelle César imbécile et fils de savetier, misérable idiot.

Ce tragédien qui fait rire ne serait-il pas un comédien ? C’est tout de go l’idée du signore Capagnole, chef d’une troupe, et qui l’engage : « Divin Tito, sèche tes larmes ; le coup de pied que tu viens de recevoir est le signe de ta vocation ! » Tito sera le bouffon Scarabellin, dans un théâtre de toile et de planches, à Bergame, pour la foire de la Saint-Alexandre. Farces et parades : le César outragé sera jovial sous la bastonnade et les taloches ; il sortira d’un pâté de carton, fera des cabrioles. Sa rancune et la drôle de tête que son chagrin présentera aux moqueries d’Arlequin, de Brighella, de Pantalon, voilà tout le secret de son génie comique. Il est, avec fureur, le fameux bouffon Scarabellin. Et il aime une petite Pierina, de Ferrare, jolie et telle qu’il n’est rien de plus vif et mutin que cette Pierina. Il lui raconte ses déboires : et l’on débute ainsi, quand on a l’âme généreuse et naïve ; les sourires, les moues de Pierina le ravissent de tendresse et d’ardeur. Il enlève Pierina. Elle est jolie, coquette aussi. Les galans l’assiègent : elle n’est pas une citadelle farouche. Les aventures vont leur train. De sorte qu’à Vicence, où la troupe du signore Capagnole a porté son tréteau, sur la piazza dei Signori, à l’heure des sorbets, Tito saisit maladroitement l’occasion d’une querelle. D’un couteau à peler les citrons, ne va-t-il pas tuer Pierina, qui pousse un cri ? Les sbires du podestat s’emparent de Tito, l’enferment dans une étroite cellule. « Ah ! mon pauvre Tito !… » Pas du tout : désormais, on ne rira plus de Tito Bassi le bouffon !

Le podestat de Vicence est maintenant le seigneur Alvise Alvenigo. Et Tito sera pendu. Le poète sifflé de César se venge. Eh ! tant mieux : Tito se hausse à la dignité de son infortune. Pierina trop légère, il ne la hait pas : elle lui a donné d’être un héros, enfin !… Sur la piazza dei Signori, la potence est levée. Il y a, dans un concours de peuple, Sa Seigneurie et qui, énorme et goguenarde, fait au condamné un signe aimable de la main. Tito se détourne : et il ne songe qu’à montrer qu’il sait mourir. Il n’est pas sans remarquer l’humeur allègre de la foule ; et il n’est pas sans remarquer la jeunesse, la taille menue et fine du bourreau, le capuchon qui dissimule son visage, la délicatesse des mains qui lui passent au cou la corde de chanvre. Il veille à se bien tenir. Mais, du capuchon fuse un rire clair ; et la foule éclate de rire. Le bourreau, c’est Pierina. Et la