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enlevant au second Empire sa couronne d’artistes et d’écrivains, vous le privez d’une de ses plus belles parures… » Il faudra cette belle parure aussi à la France nouvelle. Mais, quant à dire ce que sera la littérature de la France victorieuse et qui travaille à conserver l’honneur et le bénéfice de sa victoire, les conjectures sont permises.

Ce qui restera vrai, c’est que la littérature, et en particulier la française, est un jeu. Cela, jadis et depuis lors. M. de Régnier, qui veut qu’un roman soit d’abord « une fiction agréable ; » et qui ne lui demande que l’occasion « de se divertir à des événemens et à des personnages ; » et qui se défend d’écrire « pour une autre fin que l’amusement, » suit l’usage de nos écrivains exemplaires, et de Racine qui répète que son objet n’est que de plaire. Et le romancier qui n’a en vue que de « conter certaines façons de vivre, soit du temps passé, soit de notre temps, » continue à sa guise l’œuvre de nos moralistes. Il a mis en épigraphe à l’un de ses livres, les autres la méritent, cette opinion de Mme de Sévigné : « C’est une plaisante étude, que les manières différentes de chacun. »

La littérature, dans notre pays et aux époques les meilleures, est un jeu. Certes, on peut, en plusieurs conjonctures, l’utiliser à divers emplois. Ce fut, en général, le malheur des temps qui l’exigea, ou le permit, quand les législateurs, les savans et les capitaines avaient la tâche lourde et risquaient de n’y point suffire. La littérature alors veut servir. Il arrive qu’elle y parvienne. Il arrive aussi qu’elle ait à se repentir de n’être pas restée, inutile sans doute, au moins anodine.

En tout cas, l’œuvre romanesque de M. de Régnier, si parfaitement fidèle à nos traditions littéraires, belle et délicieuse et, avec tant d’esprit, toute pensive, a en elle, pour ainsi parler, son « privilège. » Elle peint la France, notre goût, nos habitudes de regarder la vie, habitudes qui remontent loin et qui ont, de leurs siècles accomplis, leur valeur et leur charme. Elle montre bien le passé dans le présent, la continuité dans l’invention même et la soudaineté apparente. Elle est un hommage à la durée de ce pays dont l’âme se développe sans perdre jamais ses grâces de la veille. Elle vient de nos origines ; elle a traversé tous nos âges. Elle est de chez nous. Elle a voyagé ; elle a été en Italie, comme y allaient, ou en Espagne, nos poètes de la Renaissance et du Grand siècle, pour y augmenter son trésor, et non pour s’y dénaturer. Elle fleure l’ancienne France, que veuille perpétuer la nouvelle !


ANDRE BEAUNIER.