Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 38.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Pour enlever à l’attaquant la supériorité tactique que lui donne l’obscurité, il n’est qu’un moyen : supprimer celle-ci, et c’est pourquoi, avec les fusées éclairantes, les projecteurs se sont montrés des engins de défense extrêmement précieux qui éclairent les abords des tranchées, en facilitent la surveillance et vont chercher et découvrir, en permettant de régler sur eux le tir, les rassembiemens ennemis qui se forment mystérieusement dans les ténèbres.

Mais le projecteur ne sert pas seulement à démasquer à la vue les choses et les gestes de guerre, fallacieusement abrités sous le voile de l’obscurité ; sa lumière, supérieure en cela à la lumière même du jour, non seulement décèle l’ennemi, mais l’empêche de voir lui-même. Tout le monde a remarqué que lorsqu’on rencontre la nuit sur une route obscure, un auto, tous phares allumés, on est à ce point aveuglé qu’on est comme noyé dans l’imprévue lumière et qu’on ne sait plus se diriger, ni s’orienter par rapport aux objets avoisinans. Cet effet aveuglant des projecteurs est pour beaucoup dans leur efficacité et, grâce à lui, ils sont non seulement des outils de défense précieux mais d’excellens engins offensifs.

Non seulement le projecteur permet un balayage lumineux constant des abords immédiats des tranchées, mais, grâce à sa portée de plusieurs kilomètres, il surprend les relèves, les rassemblemens clandestins, les convois de ravitaillement en arrière des lignes et permet de les inquiéter à toute heure à coups de canon : il est ainsi l’œil noctiluque de l’artilleur, et, dans l’ombre la plus épaisse, « cet œil est toujours là et regarde Caïn. »

Un autre emploi fréquent et non moins utile des projecteurs de campagne comme des projecteurs de place, est leur application à la télégraphie optique, à la « liaison » si nécessaire des diverses formations de combat. En munissant la partie antérieure des projecteurs de systèmes permettant d’éclipser à volonté leurs rayons, et qui consistent le plus souvent en une série de volets rabattus ou ouverts analogues aux vieilles jalousies des fenêtres, on peut à volonté, entre deux projecteurs éloignés, échanger tous les signaux Morse et communiquer ainsi. C’est la forme la plus moderne du télégraphe optique qui a valu aux frères Chappe quelque renommée dans l’histoire et partant, — car il paraît que la gloire ne peut se passer d’un accompagnement de blocs métalliques, — la statue du boulevard Saint-Germain.

A vrai dire, je crois que les frères Chappe ne sont pas les vrais inventeurs du télégraphe optique, mais plutôt les adaptateurs ingénieux de ce système à la transmission des nouvelles en plein jour.