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seigneurs francs que révoltait la grossière astuce de ce Germain ; après avoir abandonné la Terre Sainte, — qui n’avait été pour ce Hohenstaufen qu’un caprice malheureux, — il laissa le Soudan Eioub reprendre pour toujours Jérusalem. Le saint roi Louis IX, après l’échec de sa croisade d’Egypte, parut en Syrie ; mais s’il fit pieds nus le pèlerinage de Nazareth, il détourna ses yeux pleins de pleurs sur la Ville Sainte qu’il ne pouvait recouvrer. Il pensait y parvenir quand, en 1270, il se croisait derechef. Sa mort sembla clore l’ère des saintes expéditions.

Un nouvel ennemi, Bibars, soudan d’Egypte, se jeta en 1285 sur ce qui restait de l’ancien royaume de Syrie et, ayant détruit Césarée, Arsuf, Jaffa et Antioche, il enleva encore la forteresse de Makrab et Tripoli, ravagea deux ans la Phénicie et fit, de Jérusalem a Antioche, massacrer 100 000 chrétiens. Acre restait le seul débris du royaume. Les puissances islamiques conjurées fondirent sur la ville. Le siège de la malheureuse cité nous a été conté ici même d’une façon aussi précise qu’émouvante[1]. Tous s’y étaient réfugiés : Roi, patriarche, princes, prêtres, grands maîtres des Ordres, moines, capitaines, bourgeois, femmes, derniers descendans des Francs de Syrie. Le 18 mai 1291, après une résistance où il parut bien, je le répète, que la valeur guerrière n’avait pas décru chez ces chrétiens, la ville succomba, livrée à une effroyable lutte de rues que suivit un épouvantable massacre. Ceux qui y échappaient se réfugiaient à Chypre où, depuis 1192, les Lusignans régnaient : le Roi garda, avec les Assises, le titre de roi de Jérusalem et installa sur ces terres les débris du corps féodal, mais la Syrie était perdue pour les Francs. Ils y avaient régné exactement cent quatre-vingt-douze ans.


Quoi qu’en aient dit certains historiens, je ne crois pas qu’il faille chercher dans le régime même la cause de cette chute. Le royaume a succombé à des événemens extérieurs à sa constitution. Je concède volontiers que des divisions entre princes chrétiens les empêchèrent d’affermir leur empire en l’étendant. Et j’admets que, dans une certaine mesure,

  1. Par M. Schlumberger en juillet 1913.