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Et maintenant voici la Petite-Russie, la terre noire, la terre féconde du blé. Pendant tout un jour, le train route à travers ces plaines sans fin. Les jeunes filles, en jupe rouge, qui travaillent dans les champs, ont l’air de gros coquelicots, fleuris avant la moisson. Une herbe fine, promesse des gerbes futures, ondule sous la brise : Panem nostrum quotidianum… La Russie nous prépare du pain !


EUPATORIA ET LA PETITE COSAQUE

Visages bruns, écharpes rouges, jaunes ou vertes, toute la gamme des couleurs sur les voiles et sur les habits : c’est la petite gare d’Eupatoria, où une foule à demi musulmane attend nos blessés. Souvenir attardé des coutumes coraniques, des hommes à tuniques plissées et à calotte d’astrakan font face au groupe féminin sans s’y mêler. Au bout du steppe sans arbres, du côté de la mer étincelante, un mince minaret blanc se fusèle sur le bleu du ciel. Nous entrons dans la Russie musulmane, pays des Khans, des jardins et des légendes, où d’antiques fontaines s’épuisent à raconter sous les cyprès des histoires dont personne ne connaît plus le sens !

Des cochers tatares, à faces basanées, amènent des véhicules dont quelques-uns rappellent ceux qu’on voit circuler, de l’autre côté de la Mer-Noire, dans les rues de Trébizonde et de Samsoun. Sœurs et brancardiers s’empressent, transportent dans les automobiles de la Croix-Rouge ceux de nos blessés qui doivent demeurer ici. Notre colonel passe sur sa civière, abrité du soleil par une ombrelle qu’une Sœur élève au-dessus de sa tête… Ses yeux s’ouvrent maintenant, et un pâle sourire erre sur ses lèvres…

Deux verstes sur une route sans arbres, inondée d’un soleil africain, et nous arrivons à la ville tatare, — la ville au minaret blanc, — puis au Sanatorium de Sa Majesté Alexandra-Feodorovna. Dans ce désert de soleil, son jardin lui fait un frais asile. Sous les arbres, d’où pleuvent par instant des pétales de fleurs, se retrouve toute l’ordinaire et glorieuse clientèle des hôpitaux de guerre ; ce ne sont que bras en écharpe, têtes bandées, jambes que l’on dirait condamnées à une immobilité définitive. Et voici les fauteuils roulans où les reins meurtris se réparent un peu chaque jour, les chaises longues au