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la jeune sultane, Nenkedjan-Khanime, se précipitant du haut d’un rocher par désespoir d’amour !


LA RÊVERIE SUR LA TERRASSE

Nous avons laissé derrière nous Sébastopol, le Gibraltar de la Mer-Noire ; salué le souvenir des héros anglais, français, italiens tombés à la bataille de Balaklava ; contemplé, à travers la vaste échancrure de Baïdar, le panorama de la Mer-Noire se déroulant à une profondeur de 900 mètres, au-dessous d’un vertigineux éboulis de roches granitiques. Après une halte à la petite auberge tatare, dont la terrasse surplombe le gouffre, nous repartons à toute allure dans la direction de Livadia. De loin en loin, nous traversons des villages tatares. Le premier étage des maisons, en saillie au-dessus du rez-de-chaussée et supporté par des colonnes frustes, en bois ou en pierre blanchie à la chaux, forme galerie. Autour des fontaines, le plus souvent gracieuses et ornées de sentences arabes, des jeunes filles babillent, la tête cachée sous des châles à grands ramages. Les femmes portent un tour conique, en velours noir, assez élevé et orné de sequins qui, lorsqu’elles sont jeunes et jolies, les fait ressembler à des prêtresses de quelque culte secret.

La route est taillée en pleine montagne. Ses invraisemblables lacets semblent devoir, à chaque instant, nous envoyer « boucler la boucle » au fond de l’abîme. Nous avons à peu près toutes les dix minutes la sensation, d’ailleurs peu agréable, que notre soldat-chauffeur vient de nous sauver la vie par un habile coup de volant.

Le soleil est près de disparaître derrière les monts Jaffa, lorsque notre auto s’arrête devant l’ancien Svitsky Dom ou « Maison de la Suite. » Un gai moutonnement de voiles blancs et de croix rouges nous reçoit sur le perron : ce sont les Sœurs, autorisées par l’Impératrice à venir se reposer ici, après leurs longs services dans les hôpitaux ou sur le front.

La maison est accueillante dans sa parure de glycines. Nous entrons : une grande pièce avec deux fenêtres ouvertes sur le jardin, des meubles tendus de percale claire, un bureau propice au travail, un bouquet de roses sur un guéridon.

Journée de repos ; visite du parc et des jardins ; promenade à l’Orangerie, aux Écuries, à toutes les dépendances du Palais