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représenté à mon imagination ceux qui en furent les heureux témoins.

Souveraine heureuse d’un grand peuple pacifique, l’Impératrice aimait Livadia. Dans ces allées, où le voile blanc des Sœurs semble un vol de mouettes égarées entre les arbres, et qu’anima jadis le mouvement joyeux d’une suite nombreuse, Alexandra-Féodorovna passait dans la voiture qui remplaçait pour elle l’automobile dont elle s’accommode mal. Les deux aînées des grandes-duchesses, que les mêmes malaises ne retenaient point, descendaient tous les jours en automobile à Yalta avec l’Empereur. On prenait le thé sur le yacht impérial, Le Standart, ancré dans le port. Parfois aussi, on se rendait par le chemin des vignes jusqu’au tennis que l’on aperçoit là-bas… Ce large sentier sablé, bientôt disparu sous les futaies, puis taillé en corniche au flanc de la montagne et, à certains endroits, surplombant l’abime, est celui que l’Empereur suivait, — le plus souvent seul et à pied, — pour rendre visite à la grande-duchesse Xenia, sa sœur. C’est par-là aussi que Sa Majesté s’en alla, un beau matin, vêtu de l’uniforme de simple soldat, et fusil sur l’épaule, comme me le conta pour cette Revue le grand-duc Georges Mikhaïlovitch[1].

A gauche, entre les arbres, près du Petit Palais, où mourut l’empereur Alexandre III, on voit un petit môle avec son signal, son mât de pavillon, ses anneaux pour amarrer les barques : c’était, avant la guerre, le coin de prédilection du tsésarévitch[2], le grand-duc Alexis. Il jouait là, sans danger, foulant de ses petits pieds déjà hardis et impatiens les galets du môle, faisant hisser ou baisser le pavillon. Quelquefois, accompagné de son fidèle matelot, suivi d’enfans de son âge, vêtus comme lui d’un costume de marin, il descendait jusqu’au Standart, où l’on pouvait faire de la vraie manœuvre sur une véritable mer ! Avec quelle tendresse, malgré tout un peu inquiète, l’Impératrice le recevait au retour !… Maintenant, les barques abandonnées sont rangées dans le vestibule du Petit Palais où je les ai vues, à côté du magnifique canon, acajou et cuivre, qui fut aussi un des joujoux de l’héritier impérial. Le tsésarévitch a

  1. Voyez la Revue du 15 mars 1916.
  2. C’est à tort que nous employons en France le mot tsarévitch qui désigne, non pas le grand-duc héritier, mais indistinctement tous les grands-ducs, fils des tsars.