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ayant hâte, semble-t-il, d’échapper à ceux qui les regardent, de ne plus rien entendre, de ne plus rien voir… Quelqu’un en a pris un cliché… Quel document pour l’avenir !…


Septembre. — Ce matin, à cinq heures, brusque réveil. Il faut reculer. Les Allemands sont tout près. L’héroïsme de nos troupes n’aura pas sauvé Vilna. Après la prise de Kovno, c’était prévu.


Vilna (quatre heures avant l’entrée des Allemands dans la ville). — Quel retour dans la ville déserte !… Des rues vides ; plus de militaires, plus de police : des magasins fermés et des volets clos… Çà et là, quelques figures de juifs apeurés. Notre passage bruyant épouvante les chats, déjà habitués au silence. Quelques-uns traversent la rue en une fuite folle ; d’autres, placidement assis sur les fenêtres ou au seuil des maisons, dans les faubourgs, nous regardent passer. Leurs yeux énigmatiques me donnent le frisson. On dirait qu’ils savent… et nous trahissent… On voit errer de pauvres chiens perdus !… Qu’est devenue la coquette et brillante Vilna, si gaie, si pleine de vie ? Déserte la maison du gouverneur où j’ai passé, avant la guerre, de si bonnes heures ! Fermées les aristocratiques demeures polonaises, ornement de la Cité ! Vides les villas, les maisons de plaisance, les riches domaines qui forment à Vilna une brillante couronne ! Evacué notre hôpital avec mes chers blessés !… Et les Allemands sont sur nos talons. Dans quelques heures, leurs pas lourds martelleront ce pavé. Des ordres, des cris, tous les bruits qu’entraîne après soi une armée brutalement conquérante empliront la ville silencieuse. Puis, ce sera la ruée vers les maisons, l’éventrement des portes que personne n’est là pour ouvrir, le pillage, la dévastation, le viol de ces demeures où dort un long passé et dont les façades m’émeuvent comme des visages de mortes !…


Avec l’ennemi sur nos pas.

Nous marchons depuis dix-sept jours, le plus souvent à cheval. Les chemins sont encombrés de fuyards, retardés par les impedimenta qu’ils s’obstinent à traîner après eux. Ce n’est plus une foule, c’est une horde. Dès qu’ils n’entendent plus le