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Au village de Slabada.

Octobre. — Enfin, la retraite est terminée ; nos troupes se sont retranchées et fortifiées ; la guerre de positions commence. L’hiver est proche. Déjà il a neigé et, le matin, la terre est dure. Mieux vaut cela que les horribles boues dans lesquelles nous pataugeons depuis deux mois !

Notre division, — quatre régimens d’infanterie, une brigade d’artillerie et une sotnia de cosaques, — s’est installée au village de Slabada. L’état-major occupe la plus grande isba. L’ambulance est installée tout près, mais un peu à l’écart. Entre le village et la forêt, les soldats ont établi leur camp, creusé leurs zimliankas (abris), disposé leurs cuisines de campagne, improvisé des écuries pour leurs chevaux…

Le nombre des blessés diminue. Nous n’en recevons plus que cinq ou six par jour, ce qui nous fait de longs loisirs que nous consacrons aux réfugiés. Leur détresse est navrante. Ils sont cachés dans les forêts, presque sans vêtemens et sans nourriture ! Nous avons créé pour eux un petit poste où tous les jours nous leur distribuons la soupe et le pain. La nouvelle s’est communiquée de proche en proche et, à l’heure dite, on voit s’avancer à travers les sapins une cohue étrange et bigarrée d’êtres de tout âge, munis des ustensiles les plus divers : pots, bidons, marmites et quelquefois, hélas ! boîtes de conserves vides, car la misère a aussi ses degrés !… Nous en assistons plus de sept cents chaque jour.

Nous ne sommes qu’à deux verstes des positions, par conséquent en plein sur la ligne de feu. Il ne se passe pas de jour où les Allemands ne tirent sur le village. Leur tir, en arrosage, commence à une heure et finit à quatre ; mais, peu précis, il atteint rarement son but. Les obus tombent le plus souvent autour du village ou près d’une petite agglomération de maisons occupées par des soldats.

Tout près de l’ambulance s’étend un petit bois que nous prenons presque chaque jour pour but de promenade. Au courant des habitudes de l’ennemi, nous partons de bonne heure, afin d’être de retour avant l’arrosage quotidien. Quelquefois, cependant, on s’oublie… Tout à coup, un grand bruit déchire l’air : c’est un obus… On rentre vite, en courant, à l’ambulance