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deux : « Mes chers amis… mes charmantes amies… tous mes bien-aimés, vous tous qui vous êtes, hélas ! détachés de moi, vous surtout dont je me suis détaché, de combien de reniemens, de combien de lâchetés vous êtes responsables… et, je puis bien vous le dire, de combien de larmes ! Car, pauvres imbéciles que vous êtes, vous avez toujours ignoré la belle source de tendresses qu’il y avait en moi. » Ces lignes tremblantes ont leur prix et révèlent Mirbeau, délicieusement déraisonnable.

Alors, ne va-t-on pas, en manière de représailles, lui crier : — Cette colère et ce mépris, cette malédiction de la vie, du hasard et de la destinée, cette injure à tous les hommes et aux femmes, hypocrisie et mensonge d’un cœur qui n’avoue pas ses meilleures alarmes ?… On l’eût fâché. Ce n’est pas cela non plus, Mirbeau. Mais on le devine peut-être dans ce passage de Sébastien Roch, où il montre une âme d’enfant, « ignorante et candide, » bouleversée, petite, « assez grande cependant pour contenir l’immense amour et l’immense haine de toute l’humanité. » Est-ce l’amour, est-ce la haine ? Décidez-vous. Mirbeau ne se décide pas et ne tient pas à définir avec plus de précision le sentiment dont il goûte l’étrangeté, surtout le paroxysme.

C’est ainsi que, généralement, ce réaliste s’éloigne de la réalité. A le lire, on a presque toujours une impression mal assurée. L’on a peine à suivre les sautes de son humeur chagrine et soudain bouffonne : tristement bouffonne et qui pourtant met dans ses larmes un drôle de rire. Ses plus sombres et douloureux récits ont des momens où le sarcasme tourne au comique et recommence l’Ode au choléra des Grimaces. Et puis, le parti pris du désespoir et du dénigrement les mène on ne sait où, au cauchemar voulu, délibéré, organisé. C’est dommage. Quand Mirbeau ne cède point à ces fortes manies, il émeut si bien ! Quand il ne s’est pas juré de taquiner son lecteur et le sens commun, nul romancier ne saisit mieux l’humble vérité, ne vous la donne mieux toute vive et bien frémissante. Son petit Sébastien Roch a un père idiot ; Sébastien Roch est l’un de ces garçons auxquels Mirbeau accorde la prédilection de sa pitié, et qui dès le jeune âge ont reçu « l’effroyable coup de pouce au cerveau, du père imbécile et du professeur ignorant. » Bon ! Mais encore faut-il que M. Roch le père, funeste personnage et très actif dans la morne destinée de Sébastien, nous semble un homme, et non point un fantoche. Autrement, qu’importe de lui ? C’est un quincaillier vaniteux : ridicule de vanité, oui ; odieux de vanité, oui. Mais il n’est humain qu’une seconde, à la seconde où Sébastien le quitte pour les Jésuites de