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les idées. Il a écrit le Jardin des supplices pour dénoncer, au cœur de tous les hommes, un vil instinct de meurtre et de sadisme ; il a écrit le Journal d’une femme de chambre pour insulter « à la tristesse et au comique d’être un homme. » Assez de contes et de romans : désormais, il sera le héros de ses livres, journal de son déplaisir, témoignage de sa délectation morose, Les Vingt et un jours d’un neurasthénique, La 628-E8 et ce Dingo, recueil de son chagrin, de sa rancune, de sa haine et, qui sait ? de sa tendresse déconcertée.

Ce petit volume, Dingo, le dernier de ses ouvrages, et où un chien jette à l’univers sa philosophie et son invective, la matière en est déjà dans Montaigne et dans l’Apologie de Raimond Sebond, mais là en malice, en colère ici, là mesurée, ici déchaînée. Aimez-vous la mesure ? Lisez Montaigne. Et l’ironie ? Montaigne. Si vous craignez la perfide justesse de l’ironie et sa puissance persuasive, Mirbeau est moins périlleux. La petite oie qui parle, dans Montaigne, redoutez-la, pour vos doctrines, plus que les aboiemens de Dingo.

Mirbeau, réaliste, aboutit à une sorte de lyrisme forcené, lyrisme lugubre, et que pourtant égayé sa fougue imprudente. Lyrisme à rebours ; et cependant lyrisme. Et que de réalistes ont tourné ainsi, comme Zola lui-même ! La réalité ne leur suffit pas. La réalité n’est pas grand’chose, probablement. Ils ont résolu de ne point l’embellir : donc, ils l’enlaidissent, et à tour de bras. La réalité suffirait, s’ils l’aimaient : ils ne l’aiment point. Ceux qu’on appelle réalistes : et l’on appelle réalistes les peintres de la réalité laide, enlaidie à tour de bras, ce sont, parmi les écrivains, ceux qui méconnaissent le plus hardiment la réalité, laquelle n’est pas du tout ce qu’on voit chez eux. Ce qu’on voit chez eux ne passerait pas de la peinture à la vie ; car la vie est un équilibre : et ils ont tout porté d’un seul côté, à l’extrême.

Mirbeau et les réalistes, ce n’est pas la réalité qu’ils cherchent, mais l’art, et un art qui révèle, non pas l’humble vérité, mais, en leur langage, « un sens curieux de la vie. » L’un d’eux, dans les Vingt et un jours d’un neurasthénique, un désenchanté, s’écrie : « L’art est une corruption, la littérature un mensonge, la philosophie une mystification… » Mystification, mensonge et corruption qui font leurs délices ! Le petit Sébastien Roch, aux jours de sa pire détresse enfantine, Mirbeau le plaint de n’avoir pris qu’une conscience imparfaite encore de « la beauté artiste » Patience ! Bientôt Sébastien se rattrapera, se louera d’être en fervente communion de pensée avec une jeunesse admirablement libre et qui annonce : « Je serai immorale et je serai