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GASTON DARBOUX.

polytechnique. À cette époque, l’École normale menait à peu près uniquement à l’enseignement des lycées. Comme on l’a dit, elle conduisait à tout, à condition d’en sortir. Des exemples célèbres montraient que les littéraires, suivant le terme de la maison, en sortaient quelquefois ; mais le fait ne s’était guère vu pour les scientifiques. La détermination prise par Darboux de se consacrer à l’enseignement fut un objet d’étonnement et peut-être de scandale pour les amis de la grande famille polytechnicienne. On n’avait pas vu encore, comme l’a rappelé M. Lavisse au jubilé de Darboux, en 1912, quelqu’un préférer aux espérances brillantes qu’offrait la carrière des mines ou des ponts et chaussées le titre de professeur et la modestie des fonctions d’enseignement. Pasteur était alors directeur des études scientifiques à l’École normale. Il désirait déjà sans doute que celle-ci contribuât au recrutement de l’enseignement supérieur comme de l’enseignement secondaire, et qu’elle devînt une pépinière pour la science française. Il eut une grande joie en voyant arriver une recrue qui promettait d’être aussi brillante. Ceux qui plus tard ont entendu Pasteur parler de l’amour et du culte de la science peuvent facilement imaginer les conseils qu’il donnait à Darboux. Le nouvel élève se signala bientôt par des travaux remis aux maîtres de conférences et témoignant d’un véritable esprit d’invention. Après ses trois années d’études, il put, grâce à Pasteur, rester encore deux ans à l’École dans le poste d’agrégé-préparateur de mathématiques créé à son intention et achever un travail remarquable sur les surfaces orthogonales, qui lui servit de thèse de doctorat en 1866. Il fut ensuite, jusqu’en 1872, professeur aux lycées Saint-Louis et Louis-le-Grand. Son enseignement avait, au témoignage de ceux qui l’ont entendu, une tournure très originale ; dans sa classe, le souci de l’examen prochain ne hantait pas sans cesse les élèves, ce qui n’empêchait pas ceux-ci de remporter de brillans succès dans nos grandes Écoles.

En 1872, Darboux devint maître de conférences à l’École normale, en même temps qu’il suppléa Liouville à la Sorbonne dans la chaire de mécanique rationnelle. Sa réputation scientifique était déjà bien établie et son influence fut grande parmi les mathématiciens de l’École, qui suivaient aussi son cours à la Faculté. Dans celui-ci, Darboux a rénové en France l’enseignement de la mécanique générale. J’ai commencé alors