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pour tes oncles. Parle conformément à la vérité divine. Ne va pas, mon fils, perdre ton âme. Mieux vaudrait mourir que de charger ton âme d’un péché ! » Sur quoi Marko s’équipe, harnache son cheval, se jette sur le dos de Charatz et part pour Kossovo, où les princes l’attendent dans leur camp. À leur grand étonnement, Marko passe devant la tente de son père et de ses deux oncles, sans même les regarder. Il marche droit vers la tente d’Ourosch. L’enfant timide, qui tremble devant ses terribles tuteurs et n’ose pas ouvrir la bouche devant eux, est assis sur un divan de soie. Quand il aperçoit Marko, son visage brille comme un soleil levant et toute la tente s’éclaire : — Voici mon parrain ! s’écrie-t-il. Tous deux ouvrant les bras, leurs poitrines se touchent. Ils baisent leurs visages. Ici la cantilène place la scène curieuse qu’on pourrait appeler la voix du Destin qui gouverne la vie de Marko :

Le lendemain, dès que parut l’aurore, dès que la cloche de l’église eut sonné, les princes se rendirent aux matines et assistèrent au service divin. A leur sortie du temple, ils prirent place devant les portes, mangèrent le sucre et le rakia.

Marko prit les anciens livres. Il les consulta et dit : — Mon père, ô roi Voukachine ! Est-ce trop peu pour toi de ton royaume ? Et toi, mon oncle Ougliecha ? Est-ce trop peu pour toi de ta despotie ? Et toi, mon oncle, voïvode Goïko, est-ce trop peu pour toi de ta voïvodie ?… Puissent vos royaumes demeurer sans maîtres, car c’est la couronne d’autrui que vous vous disputez…

Et si vous ne croyez point que Dieu vous voit, voyez ce que dit cette lettre :

« L’Empire est à Ouroch. De son père il lui est venu. A cet enfant le trône appartient par héritage. Le Tsar, en expirant, le lui a remis. »

Lorsque le roi Voukachine entendit ce discours, il s’élança de terre sur ses pieds, tira son poignard d’or et voulut en percer son fils Marko.

Marko se mit à fuir devant son père, car il ne voulait pas se battre avec qui l’avait engendré. Il se mit à fuir autour de l’église, de la blanche église de Samodrèje, et déjà, par trois fois, il en avait fait le tour, son père le poursuivait et allait l’atteindre, quand une voix sortit du sanctuaire :

— Réfugie-toi dans le temple, Marko Kraliévitch, dit la voix. Ne comprends-tu pas que tu vas périr, périr de la main de ton père, et cela pour la vérité du vrai Dieu ?