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une harpe d’or et se mit à chanter. Qu’elle était belle avec sa robe blanche et ses cheveux fauves épars sur ses épaules ! De ses bras nus elle tissait des sons divins avec les cordes d’or. Sa voix entrait dans mon cœur comme un fleuve d’argent et l’emportait au ciel. Elle chantait les gloires des anciens et des rois illustres. C’est la Vila qui m’apprit à chanter.

— Ah ! dit Marko d’un mauvais rire, les Vilas sont perfides. Elle ne t’a rien fait promettre ?

— Avant de partir pour le combat où je t’ai rencontré, elle m’a dit : « Tu es mon pobratime. Promets-moi seulement, si jamais tu entends ma voix, où que tu sois, de venir me trouver au premier appel, comme le frère s’élance vers sa sœur…

— Et qu’as-tu répondu ?

— Je l’ai promis.

— Malheureux ! dit Marko, traître à ton frère d’âme !… Tu l’aimes plus que moi !

— Je l’aime autant, dit Miloch.

À ce moment, on entendit dans les profondeurs de la forêt s’élever la voix puissante de la Vila. Elle clamait : « Miloch, je t’attends… » Et trois fois la voix répéta, comme un écho grandissant : « Miloch ! Miloch ! Miloch ! »

Miloch était devenu pâle, mais son visage s’était transfiguré. Il s’écria :

— Divine sœur, je suis prêt !…

Alors une grande colère, une jalousie notre entra dans le cœur de Marko. Il s’écria :

— Maudite Vila ! Ensorceleuse de l’enfer ! Puisses-tu rester muette à jamais et puisse une avalanche te briser comme un arbre au fond du gouffre !… Tu ne connais pas encore Marko. Je te défie de m’enlever mon frère d’armes !

Cependant, en un clin d’œil, le ciel s’était obscurci. Un nuage noir avait enveloppé la cime du Mirotch. Les forêts frissonnèrent ; la foudre gronda. Un ouragan de grêle passa sur les deux cavaliers : A la lueur d’un éclair, Marko vit la Vila échevelée, les yeux fulgurans, penchée sur Miloch qui l’étreignait. Elle ne fit qu’effleurer son front de ses lèvres en touchant son cœur de sa main. Puis tout disparut dans la bourrasque. Subitement le ciel s’éclaircit, et Marko, qu’un coup de vent avait jeté par terre, vit son frère d’armes inanimé couché dans l’herbe, les yeux ouverts, le front serein, tandis que la Vila