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humaines pour la grande Allemagne, seule noble et parfaite, seraient dignes d’être élèves des Janissaires de Mahomet II. L’Islam renforce le fanatisme des hommes de guerre par l’idée qu’ils sont seuls en possession de la vraie religion, mais ceux-ci ne peuvent pas se passer des nations infidèles parce qu’ils ont besoin d’esclaves, pour accomplir les travaux inférieurs qu’ils dédaignent eux-mêmes. En Serbie, cette politique sommaire fut appliquée à la lettre. Impôts de tête, impôts sur les champs, sur le bétail, sur les mariages. Quand le cadi arrive pour réclamer la récolte ou l’argent, des janissaires armés jusqu’aux dents marchent derrière lui. Défense aux raïas, comme aux paysans, de monter à cheval. Ce sont choses nobles qui n’appartiennent qu’aux Turcs. Qu’un Serbe chrétien rencontre un Turc, il doit se ranger humblement pour le laisser passer et lui rendre n’importe quel service à son commandement. L’outrage du musulman est permis, celui du chrétien puni de prison ou de mort. Les habitans du pachalik de Belgrade furent contraints de fournir au kalife cent jours de corvée par an. La ville même fut condamnée à lui payer le tribut du sang avec la fleur de la jeunesse, sous forme d’une centaine d’adolescens de quinze à vingt ans, choisis parmi les plus beaux.

Comment un peuple ainsi piétiné a-t-il pu maintenir intacte sa conscience nationale, à travers trois ou quatre siècles, et se trouver prêt un beau jour pour une série d’insurrections qui étonnèrent l’Europe et assurèrent à la vaillante nation son indépendance avec une constitution nouvelle ? — C’est encore la poésie populaire, ce sont les pesmés qui vont nous répondre.

Suivez cette vallée sinueuse, bariolée de maïs et de vignes, qui s’enfonce entre de hautes montagnes boisées. Un village serbe, aux maisons éparses, s’échelonne le long de la rivière et grimpe à travers les prairies et les champs de blé. A la lisière de la forêt, sous un large tilleul, sont rassemblés une trentaine d’hommes et de femmes. C’est le soir. L’ombre grise tombe des cimes et s’appesantit sur la vallée. Les vieillards sont assis sous l’arbre séculaire, les jeunes gens couchés dans l’herbe, les femmes groupées en poses diverses sur des gerbes. La moisson est riche ; pourtant tous ces gens sont tristes, d’autant plus tristes qu’ils sont résignés. Ils ont le sentiment obscur que ces montagnes, ces bois et ce village ne sont pas à eux. Ce moulin, près de la rivière, appartient au spahi. La forge, où brille