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pour le tchin comme un adversaire redoutable, l’homme d’une seule idée et d’une seule volonté, avec les partis pris solides de l’homme d’action. Je me rappelle l’éclair rapide, et facile à traduire, de son regard, le nom de Stolypine ayant été prononcé devant lui. Mais, très maitre de lui-même, ennemi des propos inutiles, il allait à l’essentiel, à l’exposé de cette œuvre étonnante dont il était l’âme et qui avait consisté à créer de toutes pièces une administration, l’administration officielle étant défaillante. Dès lors, la situation était bien claire : il fallait que la bureaucratie reconnût la place, le rôle et l’utilité des Zemstvos et des organisations sociales dans l’Etat et qu’elle fit elle-même, par conséquent, l’aveu de son incapacité. Ou bien, il fallait qu’elle brisât cette concurrence, le bien public, le salut du pays dussent-ils en souffrir, la monarchie elle-même dût-elle être compromise dans la lutte. C’est à ce dernier parti, gros de dangers, et qui a prouvé son absence de patriotisme, que s’arrêta le clan des hauts bénéficiaires du tchin.


Un souverain moins faible et plus clairvoyant que Nicolas II aurait refusé de se faire l’instrument d’une coterie qui n’invoquait les traditions de l’Etat que pour servir ses intérêts particuliers. On a peine à concevoir que l’Empereur, si loyal envers l’Entente, si ferme dans son propos de conduire la guerre jusqu’au bout, se soit abandonné à des hommes qui, voyant que la guerre tournait contre eux et les condamnait, la menaient sans conviction et avec mollesse, — en attendant l’heure de passer à la trahison active. Quelque hasard se trouve souvent à l’origine des grands événemens pour en déterminer le cours. Une angine de poitrine survenue bien mal à propos devait écarter des affaires l’homme d’État le plus capable, peut-être, de diriger les affaires de Russie pendant la guerre et de sauver la monarchie d’une crise mortelle. Lorsque M. Kokovtsof (l’auteur du mot fameux : « Dieu merci, nous ne sommes pas en régime parlementaire, ») eut quitté la présidence du conseil, c’est à M. Krivochéine que sa succession fut offerte par l’Empereur. On était alors aux premières semaines de l’année 1914, l’année tragique et décisive par excellence. Disciple, ami et collaborateur de Stolypine, M. Krivochéine, dont le nom reste attaché à l’œuvre de la réforme agraire, eût