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de Michel Romanof introduisait la Russie dans un état de marasme et d’anarchie semblable à celui dont elle avait été tirée, trois cents ans plus tôt, par le fondateur de la dynastie.


Le livre qui aide le mieux à comprendre les circonstances vraiment extraordinaires au milieu desquelles s’est consommée la ruine de la monarchie, c’est l’histoire fantastique et vraie des Faux Démétrius, telle que l’a racontée Prosper Mérimée. On y voit combien la Russie est proche encore de son passé légendaire, l’aliment que donne aux impostures non seulement la croyance au merveilleux, mais le contact encore presque immédiat de la Russie avec sa période mythologique. Il faut penser qu’au temps où Henri IV et Sully gouvernaient la France, quand Descartes et Gassendi étaient déjà nés, un aventurier dont on n’a jamais su au juste ni l’origine ni le nom se. faisait passer pour le fils d’Ivan le Terrible et proclamer tsar de Moscou. L’histoire de Raspoutine n’appartient-elle pas au même genre de féerie ? Il y aura, pour un Mérimée de l’avenir, une étonnante chronique à écrire sur ce sorcier de village dont le nom est destiné à remplir l’histoire des derniers jours du règne de Nicolas II. L’historien fera justice des exagérations. Il montrera comment la crédulité publique favorisait les calculs de Raspoutine, qui tenait boutique ouverte de faveurs et d’influence, en lui attribuant toutes les grâces et toutes les disgrâces, toutes les nominations, celle des ministres, des ambassadeurs, des généraux même, en sorte que Raspoutine, dont l’ignorance était grossière, qui savait à peine écrire, aurait, à en croire la rumeur populaire, gouverné toute la Russie. La simple vérité est suffisamment romanesque. L’histoire dira qu’on faisait tourner des tables, à Tsarskoïé-Sélo, qu’on y regardait Raspoutine comme une sorte de porte-bonheur, et même de prophète, tandis que, dans l’ombre, les maires du palais, les vizirs rusés de la bureaucratie faisaient servir le favori à leurs desseins.

Mais non moins que sur l’Empereur et l’Impératrice, l’étrange et scandaleux personnage régnait sur l’imagination des foules. Tandis que l’ennemi envahissait le territoire, que la révolution montait, il devenait, dans l’esprit de tout un peuple immense, le symbole des périls publics, et, comme son assassinat l’a montré, le bouc émissaire de la Russie. Le nom même qu’il