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que je prononce ici font saigner mon cœur de pasteur. Mais me taire serait au-dessus de mes forces…


Il est incroyable que l’Empereur n’ait pas entendu de tels avertissemens, et l’on se demande de quelle hébétude ou de quel esclavage son esprit était frappé. Mais l’on ne s’étonnera plus, après les faits et les paroles que nous venons de citer, que, l’heure de la chute venue, Nicolas II se soit trouvé abandonné de tous, de l’Eglise elle-même, et que le Saint-Synode ait si facilement rayé des prières le nom de l’Empereur.


« La Patrie est en danger ! » Ces mots depuis trois mois avaient retenti partout. Ce n’était pas seulement à la Douma qu’on les entendait, c’était au Conseil de l’Empire. C’était aux congrès de la Noblesse. C’était dans la famille impériale elle-même. Ce qu’on a appelé la « cabale des grands-ducs » était un signe peu douteux de la décomposition du régime. Une révolution de palais, c’est-à-dire quelque chose de classique et de conforme à bien des précédens russes, semblait se préparer à Pétrograd. La « lettre de remontrances respectueuses » que les Vladimirovitch et le grand-duc Dimitri Pavlovitch avaient adressée à l’Empereur était restée sans réponse. Ce furent les mêmes, aidés par le prince Soumarokof Elston, mari de la princesse Irène, et par le fameux député de l’extrême droite à la Douma, Pouritchkiévitch, qui organisèrent quelques semaines plus tard le complot à la suite duquel ils firent périr Raspoutine. Ces événemens sont encore présens à toutes les mémoires.

Raspoutine mort, la Russie se crut vengée et délivrée. Des millions d’hommes respirèrent. Les fidèles brûlaient des cierges en l’honneur de la vierge de Kazan. Ce fut alors qu’on découvrit combien avait été exagéré le rôle du moine. La crédulité populaire l’avait rendu responsable de toutes les trahisons et de tous les maux. Après sa disparition, on fut bien obligé de s’apercevoir que tout continuait comme par le passé, que l’influence des « forces ténébreuses, » des « puissances occultes » se faisait toujours sentir. Les mêmes causes générales subsistaient. Par une lamentable superstition des mots, le pouvoir s’obstinait à se dire autocratique : cependant son impuissance et son anémie allaient en s’aggravant. Les élémens malsains pullulaient dans