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caractéristiques, d’autre part, d’un monde composite où des traditions variées se fondent en originalités subtiles.


I

C’est Richard Harding Davis, mort prématurément, qui mérite d’abord d’attirer l’attention. Romancier verveux, humoriste populaire, qui doit à son sang irlandais le mélange d’enthousiasme et de fantaisie qui le caractérise, ses préjugés anti-britanniques et sa passion pour la France, son humeur vagabonde et son ardeur à nous servir ont, dès la première heure, jeté Davis au plus fort de la mêlée. Aucun danger, aucun déboire, — on a arrêté trois fois comme espion cet ami éprouvé de notre pays, — n’ont pu ralentir son activité ni décourager son zèle pour notre cause. Depuis la Belgique jusqu’à Salonique, il a promené ses regards aigus et moissonné inlassablement. Deux recueils contiennent l’essentiel de sa récolte, liée en gerbes lâches : With the Allies et With the French in France and Salonika. Le premier ne dépasse pas les deux premiers mois du conflit, l’invasion de la Belgique, la tragédie de Reims.

C’est avec la joie d’un écolier en vacances que Davis partit pour la grande guerre. Elle serait, pensait-il, comme toutes les autres guerres, un magnifique spectacle, un drame palpitant préparé tout exprès pour les correspondans. Le jour on suivrait le combat, et la nuit se passerait à essayer de se tenir éveillé pour écrire une prose immortelle. Et tout d’abord la réalité dépassa son attente. Tous les jours, dans un automobile de luxe, il parcourait les routes ensoleillées de Belgique à 80 kilomètres à l’heure, à la recherche des armées. Le soir, il rentrait à Bruxelles, à travers les parcs merveilleux, pour trouver les immenses baignoires en porcelaine des « palaces, » les abat-jour roses, le Champagne glacé. Et pour le dédommager de toutes ces « souffrances, » son journal le couvrait d’or.

Mais tout à coup dans ce paradis d’insouciance, dans Bruxelles en fête, surgissent de sordides réfugiés et passent les premiers souffles d’épouvante. — « On bombarde Louvain, dix maisons y brûlent. » — Quelle absurdité ! Davis rassure ses voisins, et sourit de ces racontars : « Histoires de réfugiés, dit-il. ils n’en racontent jamais d’autres. On ne bombarde pas