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la plus belle et la plus heureuse des terres. Je me rappelais sa beauté disciplinée, ses vives couleurs, ses fenêtres fleuries, ses chiens amicalement assis près des charretiers en blouse bleue, ou trottinant pleins de zèle entre les roues. Je me rappelais ses champs bigarrés, ses longues files de peupliers défilant le long des routes blanches, ses canaux paisibles sous leurs paisibles ombrages, ses paysans au grand cœur, pleins de rires et de chants, ni malheureux ni opprimés, libres et riches. Et je connaissais cette terre aussi comme un foyer d’idées généreuses et glorieuses.


Une inquiétude l’opprime : ce pays de joie pourrait-il maintenir contre de surhumaines épreuves l’héroïsme du début, et, après l’exaltation des premiers jours, supporter la morne routine des souffrances interminablement renouvelées ? La première vue des figures aperçues dans les gares encombrées de blessés, de mourans, de femmes, d’enfans réunis pour l’adieu suprême aux soldats partant pour le front, le rassure ; et chaque jour, chaque expérience nouvelle fortifient cette assurance. Tout de suite il voit l’universelle acceptation du sacrifice ; de contrainte militariste point de trace ; il comprend l’incomparable fraternité de cette armée française où l’officier coudoie le soldat et le traite en camarade, où les femmes donnent sans murmurer leur force, leur cœur et la chair de leur chair. Il cite une lettre admirable de mère, qui réclame pour ses fils un poste de danger utile ;


Je n’ai consenti à les laisser retirer du front pour le travail des munitions que parce que vous m’avez dit que leur présence serait plus utile dans la fabrique que dans les tranchées, et le danger non moindre. Le premier accident qui arriva à la fabrique m’a décidé à céder ; ne changez en rien le travail de mes fils. Lorsque la guerre a été déclarée, j’ai prévu tous les deuils qui nous accableraient, et je me suis promis que je donnerais à mes enfans l’exemple du courage. Mes filles ne me verront pas accablée par le malheur ; mes fils savent avec quelle fierté je les ai vus et désire les voir affronter les pires dangers. La tristesse nous a déjà visités sous sa forme la plus cruelle. Ne demandons pas pitié. Allons sans défaillance jusqu’au bout de notre calvaire.


Et Johnson ajoute :


Je ne donne pas la signature, car en toute justice il faudrait signer : N’importe quelle mère française !