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regards ils cherchent les forces qui la créent, le sens profond qu’elle dissimule. La philosophie de cette guerre fut révélée à Wister, grand admirateur de l’Allemagne visible, dans l’éclair qui lui montra son âme hideuse recouverte par le masque de sa « Gemütlichkeit, » de sa fausse bonhomie, le mirage de son passé d’honnête labeur et de sentimentalisme bonasse. Son remarquable opuscule The Pentecost of Calamity s’ouvre par la description saisissante de l’ordre allemand dans les villes fleuries, de la profonde paix de cette terre organisée pour la production et le bonheur matériel. Cette Allemagne lui paraît la réussite humaine la plus parfaite que le monde ait vue ; si bien qu’il déclare que s’il avait pu élire le pays où il aurait aimé naître et vivre, ce n’est ni l’Angleterre ni la France, ni même son propre pays qu’il aurait choisi, mais l’Allemagne. Mais brusquement la tare secrète du corps florissant se révèle : il est atteint de démence, de mégalomanie sauvage : et de cette hallucination collective il donne une analyse profonde. Le livre a été traduit : je me contente donc d’en signaler en passant l’importance.

Les conclusions de Wister sont celles que nous retrouvons sous la plume de J. J. Chapman. Celui-ci, dans son Deutschland über Alles, réunit les paroles de cet évangile nouveau de carnage et de terrorisme, de sanglante mégalomanie et de vanité délirante. Ce mince volume est le résumé le plus complet que je connaisse de cette doctrine, mais par sa densité même se prête mal à l’analyse.

Avec Merrick le débat s’élève encore. Ce n’est plus dans la seule folie allemande qu’il voit les causes profondes de cette guerre. Son regard d’historien, de critique largement renseigné sur les civilisations et les idées, pénètre au-delà du moment et des événemens présens, jusqu’aux forces idéales permanentes qui mènent les races et font l’histoire. Pour lui le conflit dépasse les ambitions politiques, les luttes économiques, les oppositions d’intérêts matériels, d’idées impérialistes et démocratiques ; en dernière analyse, c’est d’abord le heurt de deux conceptions inconciliables de la vie, la latine et la germanique. Dès les premières lignes de son beau livre, The World Decision, il pose nettement la question : c’est de l’Italie qu’il s’agit, car c’est elle qu’il a voulu d’abord étudier dans ces critiques journées de mai où elle s’est décidée :