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ne sent que Scapin est son personnage préféré, le fils chéri de ses entrailles ? Oui, d’un côté, l’or, la vieillesse, la ruse des Argans et des Gérontes, de l’autre le seul enthousiasme de Scapin, de Triboulet, de Figaro, car c’est tout un, et toujours la société sera tenue en échec par ces parias qui combattent pour la jeunesse, pour la liberté, pour l’amour !… » Banville est-il révolutionnaire ? Il n’est pas réactionnaire, assurément ; et, conservateur, ce titre ne l’eût pas flatté. Du reste, la politique le dégoûte : il le dit, et plus d’une fois. Qu’est-ce donc que cet hymne à la Liberté, à la révolution ? C’est, pour ainsi parler, du romantisme intégral.

Et retournons à la poésie. Le talent se cantonne volontiers dans la sécurité d’une chambre ou, comme on disait, dans la tour d’ivoire. Non le génie, et non le génie romantique : il veut le grand air, il veut chanter dehors ; et il réclame les foules.

Seulement, les foules ne sont pas toujours prêtes. Il arrive que manque le poète ; il arrive que manquent les foules, si vous les appelez à l’inquiétude et si elles ont, pour un temps, le goût du repos. Alors, les poètes romantiques sont bien dépourvus : les foules ne leur demandent que des feuilletons. « Bien que né le 14 mars 1823 et ayant publié les cinq mille vers de mon premier recueil en 1842, j’ai tout à fait appartenu par mes sympathies et par mes idolâtries à la race de 1830. J’ai été et je suis encore de ceux pour qui l’Art est une religion intolérante et jalouse, » écrit Banville, en 1873. Et il avait le sentiment de survivre. C’est la grâce de toute son œuvre et, en particulier, de ces pages qu’on vient de recueillir, que le ton n’en soit ni désabusé ni amer. Il n’a rien renoncé du rêve de sa jeunesse et garde ses chimères : il ne consent pas qu’elles soient des chimères, et dangereuses. Il est parfaitement clairvoyant, malgré tout, et ne cache pas à lui-même que l’Art subit de rudes tribulations. Le jeune contemporain de Gautier, qu’il admire et qu’il voit succomber à la tâche quotidienne, peut-il douter que le temps d’Orphée est passé ? Il ne se décourage pas et tient haute sa lyre sans cesse accordée pour l’ode ou l’odelette.

Il ne croit pas que les poètes soient défaillans. Mais il cherche la foule, et non pour lui, mais pour la seule poésie. La question qui, dans ses Critiques, domine toutes les autres c’est en fin de compte celle-ci : la littérature, poésie vraie, et celle que les artistes appellent poésie, a-t-elle encore et peut-elle espérer d’avoir demain, d’avoir plus tard, un public ? M. Scribe a un public ; et les sieurs Bernard et Grange, collaborateurs de la couturière et d’une belle fille, ont un