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Rien n’est plus évident, si ce n’est que c’est encore l’Entente qui a monté le coup manqué de Stockholm. — L’innocente Allemagne, la vierge blanche et bleue, l’Iphigénie des nations, est la triste victime d’un infernal complot. Mais cela n’a pris sur personne, et il semble, à divers indices, que cela ne prenne plus sur elle-même. L’effet de cette politique à l’esbroufe s’est renversé. Ce qui paraissait être et ce qui vraiment était si difficile est fait : la carapace de crédulité, de vanité, de superbe du peuple allemand a craqué.

Nous en avons des témoignages de tout ordre et de toute marque. L’illustre professeur Harnack, conseiller privé. Excellence, et théologien de l’Empereur, écrivait, ces jours-ci, à l’une de ses confidentes : « Le plus grand danger vient de ces Allemands qui croient encore à la victoire. » Et le socialiste majoritaire Lensch imprimait dans le Tag de Berlin : « L’Angleterre, depuis trois ans, a fait, en Asie et en Afrique, des conquêtes d’une telle valeur politique et militaire que celles des Puissances centrales, même la Belgique, sont peu de chose à côté d’elles, si l’on en juge d’un point de vue universel et non européen. » De sorte que tout se résume en ceci : « Si l’Angleterre ne gagne pas la guerre, elle l’a perdue ; si l’Allemagne ne perd pas la guerre, elle l’a gagnée. » Dans ce cas, comme il arrive, la lettre qui devait rester secrète, et où l’auteur ne se donne pas une attitude, est peut-être encore plus significative que le journal. Mais, les tenant l’un et l’autre pour ce qu’ils sont, n’y trouve-t-on pas l’explication de la crise, qui mêla si étrangement tous les pouvoirs publics de droit et de fait, toutes les influences, tous les rôles, toutes les initiatives dans l’Empire allemand et dans le royaume de Prusse, qui y fit apparaître tant de désordre sous l’ordre, tant de faiblesse en un gouvernement fort, et qui, comme nous ne nous en représentions assez clairement ni les causes profondes ni les circonstances actuelles, nous demeura, toute une semaine, obscure, confuse et inexplicable ? Or, cette explication, la voici en deux mots : l’Allemagne s’est sentie malade, et M. de Bethmann-Hollweg en est mort.

Cette crise de l’opinion allemande, pour ne pas dire de l’âme allemande, il serait intéressant de pouvoir en tracer la courbe. Chose curieuse : à l’origine, ou plutôt au début, il y a Scheidemann, la conférence de Stockholm, la secousse de la révolution russe, et c’est bien encore une sorte de revanche de la morale. On ne sait d’une manière juridiquement certaine, avec preuves écrites à l’appui, qui avait eu l’idée de la Conférence, qui en avait provoqué la réunion, ni si Scheidemann et ses socialistes d’Empire y avaient été envoyés en