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déserts, les aspects variés des saisons, les bruits du vent, le voyage des pèlerins, la furie des batailles. C’est la nudité même de la scène qui laisse à la puissance du vers et de la musique, à la magie du poème et de la légende, à l’infini de la méditation et du rêve, l’horizon sans limites, l’espace sans obstacles. « Le court drame épique qui constitue le Nô, écrit Okakura, est rempli de sons demi-articulés. Le soupir du vent à travers les branches des pins, le bruit de l’eau qui tombe, le tintement des cloches éloignées, les sanglots étouffés, le fracas de la guerre, l’écho du tisserand frappant l’étoffe neuve contre le métier de bois, le cri des grillons, toutes ces voix multiples de la nuit et de la nature s. y font entendre. Ces obscurs échos de l’éternelle mélodie du silence peuvent sembler étranges ou barbares. Ils n’en sont pas moins la marque d’un grand art. Ils ne nous laissent pas oublier un moment que le Nô est un appel direct de l’esprit à l’esprit, le mode par lequel la pensée sans parole va de l’acteur lui-même à l’âme diffuse et sans organe de celui qui l’écoute. »

L’acteur principal, le « shite, » a le plus souvent, comme le protagoniste de la tragédie grecque, un masque. C’est la façon de donner au personnage plus de généralité, d’ampleur et de mystère. Les masques de Nô, qui étaient faits d’abord de sciure de bois agglomérée et recouverte d’une couche de laque, furent ensuite sculptés sur bois et devinrent de véritables œuvres d’art. Les musées, les trésors de temples, les collections privées en possèdent de très beaux et intéressans modèles. Ces variétés de masques étaient, d’ailleurs, assez nombreuses (un critique en énumère jusqu’à 70), mais se ramenaient, en somme, à quelques types : le démon, le vieillard, la vieille femme, la jeune fille, le moine, le guerrier, etc. — Les costumés de Nô, surtout ceux du « shite, » et particulièrement ceux qui sont revêtus pour la danse, sont riches et d’une ornementation aussi artistique que variée. Le style en est le plus souvent emprunté aux anciens vêtemens de cour. Le sabre en est, d’ordinaire, l’ornement, mais aucune autre pièce d’armure. Pour figurer le combat, les acteurs rabattent la partie supérieure du vêtement et dégagent les bras ; ils se ceignent la tête d’une étroite bande d’étoffe nouée par derrière, et dont les extrémités retombent dans le dos. — Les rôles féminins sont, comme dans tout le théâtre japonais, joués par des hommes.