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pillage et la destruction des biens, le meurtre ou l’esclavage des hommes, l’humiliante captivité des femmes, l’appel désespéré aux suprêmes énergies, qui soulève et entraîne tout le monde ?

Hier, dans la cour de la gare, une paysanne avec sa carriole attendait son homme. Il arrive, coiffé du casque, s’appuyant sur le bâton grossier des tranchées. Embrassades, effusions, d’ailleurs courtes. L’homme monte sur la carriole, et lui, que je connais grand amateur de chevaux, habile à les conduire, modestement se place à gauche, cependant que la femme, raide, cambrée, saisit les rênes et d’un large coup de fouet enlève l’attelage sous des regards qu’elle sent admiratifs.

Cette paysanne gasconne, emportant son poilu, est-elle donc si loin de son aïeule, la femme Sotiate, qui derrière l’oppidum de Lectoure, d’Eauze ou de Sos, préparait les vivres et les armes à son mari luttant contre les légionnaires de Crassus ? De cela deux mille ans nous séparent et c’est beaucoup, magnum ævi spatium, grand intervalle au regard du temps qui du dehors mesure la continuité de la race, c’est-à-dire sa durée, rien ou presque rien si l’on se tient dans cette durée : à peine soixante générations, à peine soixante momens où des mutations ont été essayées, soixante essais ou expériences. Dans un laboratoire de biologie il en faut bien davantage pour abolir un caractère même superficiel dans une espèce et en fixer définitivement un nouveau. Deux mille ans ne sont rien pour la vie de la terre et peut-être pas beaucoup plus pour ce qu’il y a de plus permanent dans l’homme, je veux dire la subconscience, liée au fait absolument premier de l’instinct de vie.


II. — LE SOUCI DE L’AVENIR

Ces forces cachées de l’âme vont nous servir à bien expliquer la seconde partie de notre devoir envers la terre. Ce n’est pas seulement pour le pain que nous en attendons qu’il faut la cultiver, mais aussi pour garder l’âme des jeunes en contact et communion avec elle. Le salut des vocations paysannes est à ce prix. L’affaire est de grande conséquence puisque notre avenir agricole en dépend.

La vocation du jeune paysan est fragile ; on ne peut la sauver que par un ensemble de précautions dont la première est de la laisser dans le cadre où elle est née. Elle participe à tous