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LES FRANÇAIS DE SARRELOUIS EN PRUSSE RHÉNANE.

nomie et son caractère français, et même, dans les vieilles familles, ses aspirations françaises irréductibles.

Moins intensivement industrialisée que Sarrebrück et resserrée dans une boucle de la rivière, Sarrelouis doit sans doute à ces circonstances d’avoir conservé son originalité locale, ses rues et ses maisons de la fin du XVIIe siècle, le culte de ses vieux souvenirs, la fierté de son éclat guerrier d’autrefois. La plupart des chefs des grandes industries qui font la prospérité économique de la région, sont les descendans de familles françaises ; ils s’en souviennent et s’en font gloire ; ils n’aiment pas les Prussiens venus là en dominateurs étrangers et, souvent au risque de le payer cher, ils le répètent à qui veut les entendre.

Sarrelouis comptait, avant la guerre, 7 368 habitans ; ses faubourgs et écarts, tous manufacturiers et pleins d’usines, en ont environ quinze mille. Mais le cœur de la ville, c’est-à-dire la petite bourgeoisie et les artisans du terroir, n’ont pas encore, aujourd’hui même, après un siècle de domination prussienne, été complètement absorbés ou démarqués par ces bandes rapaces d’exploiteurs allemands qui, accourus des marécages de l’Elbe ou de l’Oder, se sont rués sur le pays mosellan comme sur une proie. C’est à peu près en vain que le gouvernement s’est efforcé, surtout par l’éducation et l’école, de chasser du foyer familial ce génie français dont ces populations, détestées parce que welches, sont encore si justement orgueilleuses. Les ravages causés également à ce point de vue par les afflux d’ouvriers et d’ingénieurs transrhénans, de fonctionnaires et d’employés de toute catégorie, ou par les énormes garnisons de soldats entassées dans cette région, n’ont pas été aussi profonds que pourrait le croire un voyageur pressé : comme la rouille, ils n’ont corrodé que la surface et n’ont agi que sur la portion la moins intéressante de la population.

Ainsi, bien que ce malheureux pays lorrain ait vu, en 1815 et en 1871, une partie de ses habitans préférer l’exil à la domination prussienne ; bien qu’il soit aujourd’hui germanisé administrativement, jalonné de cheminées géantes, balafré affreusement par un inextricable réseau de chemins de fer et de canaux, de lignes télégraphiques ou autres, et que les immigrés y forment, par endroits, comme à Metz elle-même, jusqu’aux deux tiers de la population ; bien qu’il soit devenu, malgré lui, un formidable arsenal de guérie et un foyer permanent