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nôtre. Symbolisme, humanitarisme, pacifisme, nous en avons vu, à des intervalles plus ou moins éloignés et parfois simultanément, éclater des foyers en France et en Italie, comme en Russie et en Norvège. Il faut le savoir, crainte de s’attribuer un monopole dont au surplus on n’aurait pas toujours lieu d’être fier. Il ne s’agit d’ailleurs ni d’une imitation, ni même d’une sorte de contagion ; mais les mêmes conditions produisent partout les mêmes effets.

Il est absurde de méconnaître ces grandes pressions du monde intellectuel : nous raisonnons trop souvent, nous autres Français, comme si nous étions seuls dans le monde. Il ne serait d’ailleurs ni moins faux ni moins dangereux de croire que, comme on le répète volontiers, les transformations économiques, la facilité des communications, la multiplicité des échanges commerciaux aient supprimé les différences qui sont, dans l’esprit de chaque peuple, le produit invétéré de la race et le lent résultat de l’histoire. Aujourd’hui comme jadis, on reconnaît un livre français à certains traits qui le caractérisent, à certaines qualités d’invention, de composition et de style, qui y sont justement la marque de l’esprit français. Nous devons tenir à cette image séculaire de notre génie national et nous méfier de tout ce qui risquerait de la troubler et de l’altérer. À vouloir nous approprier les qualités d’autrui, nous ne gagnerions rien et nous risquerions de perdre les nôtres. Mieux placé que personne pour en juger, Wyzewa n’a cessé de dénoncer le péril de ces engouemens successifs et exclusifs. Un jour, aux romanciers de chez nous qui s’évertuaient à se découvrir une âme russe, il attestait la vanité de cet exercice, en les conviant à se rendre compte qu’ils avaient, en fait, « une âme nullement russe, mais normande, par exemple, ou limousine. » Une autre fois, il décrivait ainsi les effets de la funeste maladie qu’il appelait : la nordomanie. « La France, qui était un pays latin, est maintenant en train de se pousser vers le Nord… Sa langue, d’année en année, s’embrume, s’empâte, perd son ancienne précision, avec tant d’autres vertus, pour devenir un confus charabia international… Si, aujourd’hui, nous vénérons M. Ibsen, ce n’est pas que nous le comprenions, ce n’est pas que son œuvre nous touche, c’est qu’il a fini par incarner pour nous le génie du Nord, je ne sais quelle gigantesque et fumeuse entité, qui s’est dressée, depuis dix ans, au-