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déchaînés, furieux d’enthousiasme ; nous n’avons fait que chanter et plaisanter tout le long du voyage : un vacarme à mettre en fuite 200 000 Autrichiens. » — « Tu ne peux te faire une idée de notre allégresse, écrira-t-il après son arrivée dans la tranchée. Nous débordons tous d’ardeur, de confiance et de joie ; nous nous sentons forts et libres, sûrs de la victoire[1]. » Cette inaltérable gaieté peut apparaître comme un épanouissement de l’exubérance méridionale, quand elle se manifeste dans les marches et à l’arrière par des chansons napolitaines, des bavardages sans but et des plaisanteries sans fin ; il est difficile de ne pas y voir une forme du courage et une condition de supériorité morale, quand elle persiste sous les obus et inspire aux combattans des boutades de circonstance ou d’ironiques défis à la mort. A cet égard, les « poilus » italiens se sont révélés sur les champs de bataille comme les dignes émules de leurs frères de France.


II

La confiance qui les animait au début a-t-elle été justifiée par les événemens ? Si la guerre n’a pas encore abouti au triomphe escompté, les bénéfices moraux en paraissent dès maintenant aussi importans que les futurs résultats matériels. Elle représente déjà pour l’Italie une victorieuse épreuve et pour ses alliés une éclatante démonstration de ses vertus guerrières et civiles. L’armée est sortie plus forte et la nation meilleure d’une période de crise où l’une a développé son esprit militaire et l’autre affermi son esprit public.

Depuis l’achèvement de l’unité, la première n’avait pris part qu’à des campagnes coloniales, et dans les deux dernières grandes batailles de son histoire, à Custozza et à Adoua, sa fortune avait été moindre que sa valeur. Au cours des dernières années, la politique d’économies imposée par les nécessités budgétaires l’avait empêchée de mesurer ses effectifs et ses cadres à l’accroissement de la population : un tiers seulement des jeunes gens inscrits sur ses contrôles recevait d’elle une instruction militaire sérieuse[2]. L’obsession de ces

  1. Borsi, p. 3 ; — Cf.pp. 27, 53, 57, 71, 97 ; — Pascazio, pp. 27, 55, 87 ; — Margheri, pp. 45 et 69.
  2. Pascazio, p. 200.