Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 41.djvu/476

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pratique : celle de dresser, dans ce terrible ouragan qui avait déraciné et dispersé toutes gens, des listes électorales dont on n’avait même pas les cadres. De toute nécessité, les élections, d’abord fixées au 30 septembre, ont été ajournées au 25 novembre, et la convocation de l’Assemblée Constituante remise au 11 décembre.

Mais ce retard, pour être inévitable, n’arrangeait nullement les affaires, ni de la Russie, ni du ministère ou du directoire qui porte le titre et devrait exercer les fonctions du gouvernement. À ce gouvernement, ainsi déclaré, on avait bien donné, en théorie, des pouvoirs suffisans ou même exorbitans, mais à la condition qu’il les créât qu’il les trouvât ou qu’il les prît ; pour qu’il les prit, il eût fallu qu’on les lui laissât prendre. En de pareilles crises, ce n’est pas uniquement l’anarchie qui est spontanée, ce sont les archies; ce n’est pas simplement le désordre, ce sont les contrefaçons et les improvisations d’ordre, par lesquelles l’État, tiré à quatre, déchiré, réduit en lambeaux, descend au plus bas degré de l’impuissance. De partout, en Russie, avaient surgi des Soviets, faits à l’image du Soviet de Pétrograd : conseils, non pas, mais réunions tumultuaires, bourdonnement d’une foule d’ouvriers, de paysans et de soldats, — au fond, tous paysans, chez ce peuple plus qu’aux trois quarts rural ; — avec quelques « intellectuels » pour les mener, et les égarer. Numériquement, ces Soviets, qui pullulaient dans les villes et dans les campagnes, qui se nourrissaient et se grossissaient des usines et des régimens, pouvaient représenter la masse : ils ne représentaient pas organiquement la nation; parce que trois catégories sociales seules, et en réalité un seul élément social, le paysan, y étaient représentés ; mais aussi parce qu’il n’y avait eu ni nomination ni désignation régulière, et qu’on y était entré comme dans un moulin ; qui avait voulu, autant qu’il y en avait eu qui voulaient, avec ou même sans des simulacres dérisoires.

Cependant, ayant ces Soviets devant lui, et n’ayant rien à côté d’eux, et n’ayant rien non plus sous les pieds, que sa vaine grandeur, le Gouvernement était en l’air, coupé de toute base par où maintenir ses communications avec la nation. A défaut de la Constituante, qui lui manquerait six mois encore, une assemblée nationale, même éphémère, même ne vivant que deux ou trois jours, pourvu que ce fût une assemblée et qu’elle fût nationale, ne lui apporterait-elle pas un utile secours, et, en faisant apparaître que le Soviet n’était pas cette assemblée, que les paysans, ouvriers et soldats, n’étaient pas toute la nation, ne fournirait-elle pas à son autorité un fondement tout à la fois plus large et plus solide ?