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stoppions à l’estuaire de la Meuse, dans les eaux neutres. Première visite des douaniers. Le pavillon anglais est amené, les papiers vérifiés, la télégraphie sans fil décrochée et encoffrée. Un pilote hollandais nous dirige. C’est le pilote d’eau salée. Plus loin, grimpera le pilote d’eau douce. On avance, lentement, dans une brume qui s’épaissit à- vue d’œil. Tout est bientôt envahi, et les sons, les appels s’amortissent : mais très visibles et inhospitaliers sont les énormes glaçons qui encaquent les pointes des jetées, des estacades, des bouées à phares et à cloches. C’est comme une cuirasse brisée, sale, peuplée de mouettes, dont les débris semblent doués d’yeux pour se jeter contre notre cargo à qui mieux mieux, et qui escaladent les uns sur les autres. Lourdement, pesamment, on manœuvre pour accoster, pour chasser, par des trappes d’eau, ces blocs qui barrent l’accès du quai. On frôle quatre navires allemands « neutralisés » là depuis la guerre, et dont la peinture se décolle. Et voici, à la fin des fins, la passerelle placée, et les fonctionnaires hollandais, pas élégans avec leur certaine casquette, mais exigeans et importans, et lents surtout, qui nous reçoivent. Ce quai désert, ces wagons abandonnés sur une voie sans lumière, ce noir, ce froid, c’est la première impression de Rotterdam. Partis le 2 février, il nous a fallu quinze jours pleins pour atteindre une ville où, de Paris, en temps de paix, on atteint entre le déjeuner et le diner. Notre tâche va commencer.


LA HAYE

17-27 février.

Une heure après, nous sommes à la Haye.

Tout de suite, rien qu’au roulement du flot humain dans les rues passagères de la capitale, ce samedi soir 17 février, on sentait la nation soustraite à la guerre, et pourtant dominée par les préoccupations de la guerre. De nombreux uniformes militaires dans une population qui l’est si peu, un certain déploiement de police, des élémens étrangers visiblement nombreux ; du flamand ou du français avec l’accent belge tranchant sur la langue nationale, enfin, la nature des affiches ou des enseignes disaient la guerre aux frontières, c’est-à-dire très près, car tout est près en Hollande. Mais l’abondance de