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Dehors, le vent souffle en rafales, tourbillonne, et comme un chien bondit autour de la maison en quête de l’issue où l’on se coule, il va, vient, saute, donne de la voix, revient, couvre un instant le bruit de l’horloge, s’engouffre dans la cheminée et secoue rudement les têtes de la trappe qui vibre.

Les arbres du jardin plient dans la tempête et frissonnent de toutes leurs feuilles bruissantes. J’imagine les deux cyprès, ployés à droite, à gauche, balayant l’ombre de leur pinceau plaintif ; j’entends le glissement en cercle des feuilles mortes qui tournent au souffle du vent, et le bruit de la pluie dans la terre et sur les vitres, et sur le mur, et sur les toits des hangars et le tronc noir des arbres ; je perçois le son mat des gouttes qui s’écrasent sur le rebord de zinc de la fenêtre, le son plus gras de celles qui tombent sur le sol, et le grésillement de la terre qui les boit.

Le son se transforme parfois en vision. Tel bruit de goutte d’eau me fait voir d’autres gouttes accrochées aux fils de fer des tranchées et chassées par le vent le long de ces fils. Des appels détrompe passent dans l’air ; une porte se ferme ; un sifflet de locomotive troue le rideau de pluie et d’ombre ; le bruit lointain d’un train qui passe au bord de l’eau se transpose en une image des lumières ; je « vois » en esprit des wagons qui se reflètent dans le fleuve et s’éloignent et confusément vous invitent au voyage. Le grondement des lourdes roues pleines s’atténue et se perd dans le vent qui déchire et disperse les appels venus de la ville et noie le son jeune d’une cloche perçue, puis inaperçue et perdue enfin dans la mêlée des bruits.


Et pierre à pierre le mur s’écroule qui murait mon âme au fond de moi. Les sons se suppléent les uns les autres. Mes relations avec le monde extérieur se rétablissent, différentes, transposées, mais presque aussi fréquentes qu’autrefois. Il y a différence de nature, mais non différence d’intensité, entre la masse de mes perceptions de naguère et d’aujourd’hui. Ma respiration se fait plus libre, et je me sons renaître comme une plante dont les racines arrachées, mutilées, pénétreraient à nouveau dans la terre.