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aussi considérables, si l’on en juge d’après les dimensions des établissemens de M. Geneste, agriculteur-propriétaire à Aubigny. Ces établissemens, granges, écuries, hangars, disposés autour d’une maison d’habitation élégante et spacieuse, étaient construits en briques et en pierres. Ces pierres, ces briques, disjointes par la poussée des explosifs, ou brûlées par les liquides enflammés des incendiaires, ne sont plus qu’un amas de décombres, précipités au bord du chemin désert, dans la solitude et dans le silence du village, qui ressemblerait à une sorte de Pompéi rustique, s’il n’était ranimé, de temps en temps, par la présence d’une équipe de territoriaux, par la silhouette équestre de quelque gendarme en tournée ou par le rapide passage d’un motocycliste en liaison.

Toutefois, à travers l’éparpillement de ces ruines calcinées par le feu, encore toutes noires de fumée, on distingue ou l’on devine le plan, la disposition extérieure et l’aménagement intérieur de ce grand et beau logis où les Allemands n’ont pas laissé une poutre en place ni une muraille debout. Par ces traits épars, on reconstitue en imagination la vie agricole et pastorale qui faisait hier la prospérité de ce pays. cette ferme modèle était un agrandissement et, pour ainsi dire, une modernisation de la demeure habituelle des paysans de Picardie, telle qu’on peut l’observer en parcourant les vallées de la Bresle, de la Somme, de l’Authie, de la Canche, sur un espace qui a pour limites approximatives la lisière des forêts de Thiérache, les confins des pâturages normands, les bornes des charbonnages du Nord, du Pas-de-Calais et les bocages voisins de Boulogne-sur-Mer.

— Lorsqu’on rebâtira, sur toutes ces ruines, l’abri humain, me dit un de mes interlocuteurs, il faudra éviter avec soin d’adopter un type de construction uniforme, dessiné sur un papier administratif, dans les bureaux, loin d’ici, hors de la vue des lieux qu’il s’agit de repeupler par la réinstallation des exilés et des déportés. Ceux-ci tiendront d’autant plus à leurs particularités coutumières, à leurs traditions locales, à leurs habitudes de famille et de province, qu’ils auront souffert plus longtemps d’une cruelle nostalgie. Evitons qu’ils soient dépaysés dans leur propre pays. Certains projets, que l’on propose, çà et là, avec d’excellentes intentions, ne laissent pas d’inquiéter ceux qui ont étudié sur place les différens aspects d’un problème