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capable de vivre qu’auparavant (diversion contre les Alliés extra-européens de l’Entente, États-Unis et Japon : le « péril britannique » n’a pas rendu, on revient au « péril jaune »); l’insinuation que nos amis et nous, nous avons été « excités par les légendes qui se sont formées depuis le début de la guerre ; » d’où, en guise de conclusion, cette vérité que l’on a vu et entendu traîner partout, mais à laquelle des courtisans veulent prêter une parure de nouveauté : « Tout diplomate expérimenté sait que, dans de pareilles entreprises, l’atmosphère, l’air ambiant, a beaucoup plus d’importance que l’antagonisme, même marqué, des prétentions opposées. » Tâchons donc de « causer, » et pour pouvoir « causer, » forçons notre talent, soyons aimables.

M. Michaëlis fut moins long. Mais il eut, dans l’un de ses petits speechs, une bonne phrase, qui se concilie imparfaitement d’ailleurs avec les gentillesses de M. de Kühlmann. « Je dois renoncer pour le moment à préciser nos buts de guerre et à nommer nos négociateurs. » C’est, en deux lignes, à peine, un excellent discours, et la leçon ne devrait pas être perdue pour d’autres ministres, en d’autres pays, qui parlent mieux, mais à qui, parce qu’ils parlent bien, il arrive de parler trop. La Commission approuva successivement, dans l’ordre hiérarchique, le docteur Michaëlis et M. de Kühlmann, et la séance s’acheva, comme il convenait, par une manifestation unanime de loyalisme : « Un si bon prince! Un si grand Empereur! » Il est vrai qu’au Reichstag lui-même, le ministre de la Guerre, M. de Stein, et le vice-chancelier, M. Helfferich, auraient été plus fraîchement reçus et même aigrement rabroués. Nous, cependant, méfions-nous, taisons-nous. Ce que veut l’Allemagne, autant pour remonter chez elle l’esprit public que pour le déprimer chez nous, c’est que l’idée d’une prompte paix, d’une paix quelconque, circule et nous empoisonne. Non seulement fermons les lèvres, mais bouchons-nous à la cire les narines et les oreilles.

On ferait tort au Chancelier si l’on n’admirait pas, ainsi qu’elle le mérite, une véritable trouvaille. M. Michaèlis a tenu à exprimer toute sa satisfaction « des relations de l’Allemagne avec les neutres, qui malgré les grands efforts de la presse ennemie pour les envenimer, n’ont pu être troublées. » Si peu ! En huit jours, l’Allemagne n’a réussi à s’aliéner que la République argentine, Costa-Rica, l’Uruguay, le Paraguay, le Pérou. Qu’est-ce que l’Amérique latine, après les États-Unis de l’Amérique du Nord ? Qu’est-ce que la Chine et le Siam, en Asie ; et, en Océanie, que reste-t-il à perdre ? En Europe même, l’Espagne