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courage. Ne pouvant plus collaborer par ses discours aux lois sociales qui venaient en discussion à la Chambre, il y collaborait par ses articles, soutenant et légitimant les réformes heureuses, les provoquant souvent, tâchant d’y intéresser l’opinion, mettant au service de tous les hommes de bonne volonté son autorité et son expérience. Il était plus écouté qu’il ne l’avait jamais été. Les ironies ou les injures dont on l’avait accablé jadis se faisaient plus rares. On finissait par rendre justice, même dans certains milieux qui lui avaient été longtemps hostiles, non seulement à l’élévation et au désintéressement, mais encore à la justice de quelques-unes au moins de ses idées. C’est qu’il n’était plus un isolé comme il l’avait été à ses débuts. A la longue, son action s’était fait sentir, même à ses adversaires ; ses doctrines, approuvées d’ailleurs et adoptées par la plus haute autorité morale qui soit au monde, avaient recruté d’ardens prosélytes. Il avait derrière lui, et avec lui, toute une jeunesse de « chrétiens sociaux, » celle-là même qui organisait les Semaines sociales, qui suivait librement ses inspirations et se réclamait de son exemple. Grâce en partie à lui, il devenait de plus en plus difficile de dire et de croire que l’Église se désintéressait du peuple. « Et vraiment, disait-il un jour, moi qui rêve pour mon pays le retour complet à la foi chrétienne, et qui, dans ma carrière, ne me suis attaché fortement qu’à cette seule idée[1]… » Si ce noble rêve doit se réaliser un jour, par son œuvre sociale, Albert de Mun en aura hâté l’avènement.


II

Il l’aura hâté plus peut-être encore par son œuvre patriotique. De tout temps, il s’était passionnément préoccupé des questions concernant la défense nationale. Comme tous les hommes de sa génération, il avait connu la France si grande, si glorieuse, si respectée, qu’il ne se consolait pas de la voir déchue de ce rang unique. Soldat, gentilhomme, chrétien, il l’aimait, si l’on peut dire, d’un triple amour ; ou plutôt encore, toutes les ardeurs de sa grande âme se fondaient pour elle dans une tendresse hautement religieuse. La mission providentielle

  1. Discours et écrits divers, t. VII, p. 266.