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regardèrent-ils pas aussi loin. On les appelait : ils estimèrent que cela était naturel, juste et décent. Ils vinrent, et du premier coup s’établirent dans des positions, comme disait Joséphine, qui leur agréaient à miracle, — à miracle, peut-on dire, car quels drames ne fallait-il pas qu’on eût traversés pour que ce changement de personnel se fût accompli !

À vrai dire, ces fortunes ne seyaient pas à tous. Des hommes, il s’en rencontrait vraiment d’impossibles et, peut-on dire au propre, d’indécrottables. Ils venaient de très bas, s’étaient élevés par un continuel effort de courage qui ne permettait point de leur disputer les grades, mais jamais ils n’avaient pu se former, se procurer les élémens d’une éducation. Il fallait bien qu’ils fussent les premiers aux honneurs, ayant été les premiers à la peine, mais devait-on souhaiter qu’ils s’abstinssent de parler, d’écrire et de remuer, car à chaque coup ils eussent rendu leur gloire ridicule. Il leur fallait un champ de bataille et non pas un salon.

Quant aux femmes, si elles ont paru plus aptes que les hommes à se former, c’est que la plupart n’étaient ni de même origine ni de même souche que leurs maris. Sauf trois ou quatre exceptions (Augereau, Lefebvre, Moncey, Fouché), la plupart des personnages en vue qui avaient été mariés avant ou pendant la Révolution, avaient divorcé et avaient convolé à des femmes jeunes, jolies, bien élevées (Davout, Lannes, Clarke, etc.) ; les autres, très jeunes en possession de hauts grades et de gros traitemens, avaient recherché des jeunes filles qui de près ou de loin tenaient à Bonaparte, à Joséphine ou à leurs familles ; elles étaient la plupart jolies, assez pauvres, et formées à des manières. On s’écarta pour leur céder la place et près d’elles vinrent se grouper les femmes tenant par quelque côté à l’ancien régime, qui avaient émigré, et étaient rentrées des premières, ou celles qui avaient traversé la tempête prisonnières ou suspectes, ou celles encore qui avaient échappé dans leur province aux dénonciations. Assurément convenait-il, pour que les unes et les autres figurassent dans la hiérarchie nouvelle, qu’elles fussent nées de familles honorables, d’une bourgeoisie sortable, qu’elles eussent acquis de la politesse, sinon des formes, qu’elles eussent reçu une instruction qui, au moins en histoire, en géographie et en orthographe, leur procurât un minimum de connaissances ; — enfin qu’à défaut d’une religion arrêtée, à laquelle elles