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de la France, c’était pour lui, nous l’avons vu, une de ces vérités d’évidence qu’on ne discute même pas. Aussi, de quel cœur, dès qu’il en a le pouvoir, il se propose de travailler au relèvement de la patrie vaincue ! Dès son entrée à la Chambre, il ne perd pas une occasion d’intervenir dans les débats où l’intérêt national lui parait engagé : les expéditions coloniales, les lois militaires, lui inspirent des discours à la fois si compétens et si élevés, que, plus d’une fois, il réussit à rallier la presque unanimité non seulement des applaudissemens, mais des votes. C’est dans un discours, dont quelques parties sont d’ailleurs discutables, sur le projet de loi militaire de 1887, qu’en évoquant la charge épique de Sedan, il obtenait le plus beau triomphe oratoire de toute sa carrière parlementaire. C’est dans un discours, admirable de tout point, sur le maintien de nos droits historiques à Madagascar, qu’il parvenait à grouper autour de lui 450 suffrages contre 32. Et il était très justement fier de ce succès. « Il s’était fait, disait-il plus tard, il s’était fait dans la Chambre un grand courant de patriotisme qui avait entraîné presque tout le monde, éteignant pour un moment les dissentimens, les divisions de parti, les discordes politiques. On n’avait eu devant les yeux que l’honneur national et la tradition française. » Et il ajoutait : « C’est un des meilleurs souvenirs de ma vie publique que d’avoir pu, ce jour-là, contribuer en quelque chose à cet acte d’union patriotique[1]. »

Cependant, les années passaient, et, à mesure qu’elles s’écoulaient, elles apportaient au patriotisme un peu jaloux, mais si clairvoyant d’Albert de Mun, plus d’un sujet d’alarme ou d’inquiétude. Notre désunion intérieure allait croissant ; l’idée de patrie était en butte à des attaques insidieuses ou cyniques ; le pacifisme faisait chaque jour de nouvelles recrues ; l’armée, moins respectée qu’autrefois, voyait son organisation âprement discutée par les théoriciens socialistes. En même temps, nos amitiés se modifiaient ; des alliances, des ententes nouvelles s’esquissaient, s’élaboraient dans le mystère des chancelleries, dont on n’apercevait pas toujours très nettement la raison d’être, — nous l’avons vue depuis, — et auxquelles notre amour-propre devait consentir plus d’un sacrifice. D’autre part, les orages s’amoncelaient au-delà du Rhin : d’année en année,

  1. Discours, t. III, p. 344-345. — Cf. p. 189-209.