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tableau peint sur nature, avec des couleurs toutes fraîches posées au premier coup. Et que dire si ce tableau représente, durant les trois années les plus brillantes et les plus intéressantes peut-être du dernier siècle, une société et un gouvernement en transformation, évoluant d’une forme républicaine déjà fortement atténuée à la forme monarchique intégralement restituée ?

Telles sont les lettres écrites, de floréal de l’an XI (mai 1803) aux premiers jours de l’an XIV (octobre 1805), par une mère à sa fille, — des temps, de l’organisation du Consulat à vie jusqu’à ceux du couronnement de Milan.


La mère, Mme Carra de Saint-Cyr, — Jeanne-Armande-Félix Pouchot, — appartient à une famille distinguée du Dauphiné, dont était un Pouchot capitaine au régiment de Béarn, lequel, après avoir servi avec honneur en Italie, en Flandre, en Allemagne et en Amérique, périt misérablement en Corse dans une embuscade. Elle était la nièce de Joseph Pouchot, curé de la Tronche, qui fut élu en 1791 évêque constitutionnel de l’Isère. Mlle Pouchot, qu’on appelait Pouchot de Solières, a reçu, à Grenoble même, une instruction dont témoignent son écriture et son style. A quinze ans, en 1786, elle a épousé Annibal-Jean-Baptiste Aubert du Bayet, qui en a alors vingt-neuf et qui est capitaine au régiment de Bourbonnais. Cet Annibal est né à la Nouvelle-Orléans où son père servait avec le grade de major, dans les troupes que le Roi entretenait en Louisiane. Après la cession de la colonie à l’Espagne, M. du Bayet s’est retiré à Grenoble après avoir successivement obtenu le grade de brigadier, une gratification de 2 400 livres, une pension de 800 et le grade de maréchal de camp (1780). Il n’a donc point eu à se plaindre de la monarchie. Son fils, Annibal, qui a été pourvu d’une lieutenance dans le Bourbonnais, a été employé dans la guerre d’Amérique, s’y est distingué et à son retour est passé capitaine. A Grenoble, son père lui a ménagé ce mariage avec Mlle Pouchot, laquelle, l’année suivante, lui a donné une fille, nommée au baptême Félix-Constance-Euphrosine.

Lorsque éclata la Révolution, Aubert du Bayet ne parut point d’abord très fixé sur la voie qu’il suivrait, et il débuta dans la politique par une retentissante brochure contre les